Demain, samedi, matin, le gouvernement de la législature 1999/2004 va démissionner et la Radio socioculturelle 100,7 y aura survécu. Et ce malgré l'hostilité du DP à l'encontre de cette radio de service public, trop chère aux yeux notamment d'Anne Brasseur, qui avait même déposé une proposition de loi pour l'abolir lorsqu'elle était encore députée. Enfin, survécu, c'est beaucoup dire: après dix ans et le déménagement dans une somptueuse villa avenue Monterey, la radio 100,7./span[gt] vivote plutôt. N'ayant pas obtenu les budgets demandés pour son expansion cette année - elle se voit plafonnée à 3,331 millions d'euros -, la radio stagne côté contenu aussi. Voire régresse: de nombreux free-lances sont partis, faute de travail, le programme estival n'est quasiment fait que de rediffusions, à l'exception des blocs d'information. Or, ironie du sort, c'est sur l'information qu'elle reste toujours à l'ombre de RTL Radio Lëtzebuerg, son aînée privée dont elle envie les moyens. RTL est entièrement financée par la publicité commerciale, ressource interdite à 100,7. «Durant la prochaine législature, nous allons définir la notion de service public,» promit François Biltgen, président du CSV et ministre délégué aux Médias démissionnaire lundi soir, lors du briefing de presse sur les discussions de coalition CSV/LSAP. En juin 2002, lors du débat d'orientation sur les médias électroniques, la Chambre des députés invita le gouvernement, par une motion adoptée avec une grande majorité, non seulement à définir cette notion, mais aussi «à prévoir que des missions de service public peuvent être attribuées par convention à une ou plusieurs sociétés privées ou organismes publics» et «à explorer de nouvelles voies en matière de financement du service public». En 2001-2002, François Biltgen avait entamé une large consultation des acteurs du secteur des médias électroniques afin de faire le bilan de la loi de 1991 et voir sur quels points il fallait procéder à des adaptations. C'est alors, suite au constat des problèmes de financement persistants des «petites radios», que naquit l'idée d'une sorte d'«aide à la presse audiovisuelle» qui équivaudrait en fait à une aide à la production de contenus à caractère socioculturel. Le gouvernement sortant a toujours été réticent à cette proposition, vu surtout le coût qu'une telle mesure engendrerait. Alain Berwick, le directeur des programmes luxembourgeois de RTL Group quant à lui, ne ratait pas une occasion pour faire savoir que RTL Télé Lëtzebuerg notamment était demanderesse d'une extension de ses programmes avec des contenus dits de service public. Pour mémoire: la «collaboration entre RTL Télé Lëtzebuerg, le CNA et la SES en vue de la diffusion d'une émission culturelle hebdomadaire sur le Luxembourg via le satellite Astra» chère à Erna Hennicot-Schoepges et annoncée dans l'accord de coalition CSV/DP en août 1999 ne s'est jamais faite. Aujourd'hui, la télévision luxembourgeoise du groupe RTL assure toute seule le service public télévisuel. Ce statut hybride a des racines historiques et date des débuts de RTL, lorsque les fréquences radio hertziennes luxembourgeoises étaient si précieuses pour la conquête des territoires - et marchés - français et allemand, que les opérateurs étaient prêts à assurer un programme luxembourgeois en contrepartie de la concession de ces ondes. Aujourd'hui, grâce à la multiplication des techniques de diffusion (câble, satellite, Internet), le Luxembourg n'a plus guère d'argument pour amadouer RTL Group et lui demander de continuer à assurer ce service si précieux sur ce minuscule territoire national. L'actuel contrat de concession, en vigueur depuis le 1er janvier 1996, expirera en 2010, «néanmoins, nous devons déjà travailler sur la suite à donner dès maintenant,» promit François Biltgen lundi. Les négociations s'annoncent laborieuses. Circule alors la rumeur d'une reprise des programmes luxembourgeois de RTL, qui seraient fusionnés avec ceux de radio 100,7./span[gt] en une sorte de grand pôle de médias de service public. Idée qui est loin de trouver l'accord de Jean-Claude Juncker, de crainte d'une explosion de coûts à assumer par le budget de l'État, comme le Luxembourg ne connaît aucun système de participation des consommateurs, style redevance. Les seuls programmes de télévisions de RTL coûtaient en 2002 quelque 10,9 millions d'euros. Un deuxième argument contre un programme de télévision entièrement public souvent invoqué par le Premier ministre aurait à voir avec l'indépendance des médias privés vis-à-vis du pouvoir politique. Les prestations de service public obligatoirement assurées par RTL Télé Lëtzebuerg - sport, culture, informations, contenus pour les communautés étrangères et retransmission d'événements exceptionnels - furent indirectement financés par l'État, par le biais d'un manque à gagner équivalent à la valeur de la concession pour les ondes hertziennes. Or, depuis la fin des années 1990, ces ondes n'ont plus guère de valeur. Donc, depuis cette année, l'État finance ce service de RTL Group par un autre biais: les infrastructures du Broadcasting Centre Europe, filiale du groupe, étant «sous-utilisées et économiquement non-rentables», comme le décrit le rapport annuel 2003 du ministère d'État, le gouvernement a décidé de «subventionner le maintien respectivement le renouvellement de ces infrastructures». Cette année, le budget d'État prévoit un subside de 1,198 million d'euros en tant que «contribution aux frais d'exploitation en vue d'assurer le maintien des infrastructures essentielles de télévision.» Sont visés e.a. un grand studio TV, un car reportage et un car satellite - toutes infrastructures nécessaires pour les retransmissions des médias internationaux, lors par exemple de sommets et conseils européens. Le Luxembourg a tout intérêt à être à la hauteur en matière d'infrastructure et de logistique audiovisuelles, surtout pour sa présidence européenne l'année prochaine. En outre, le programme luxembourgeois peut depuis lors accéder gratuitement à ces infrastructures, mais assumera désormais des frais moindres comme la traduction simultanée des informations ou la prise en charge des droits d'auteur lors de la diffusion des Films made in Luxembourg - deux services directement subventionnés par l'État auparavant. Outre la redéfinition du service public et de son financement, le deuxième point ultrasensible en matière de médias électroniques est celui de leur contrôle - autorégulation ou corégulation? Là encore, le Luxembourg est atypique, le contrôle des programmes diffusés au Grand-Duché s'étant développé dans un environnement parfaitement libéral, le contrôle n'ayant été introduit qu'avec la loi de 1991, qui instaurait aussi un Conseil national des programmes. Depuis, cet organe constitué de 25 représentants bénévoles de la société civile - qui n'ont d'autre compétence en matière de médias que leur bonne volonté - cherche sa voie à coups de blâmes et de mises en garde, notamment vis-à-vis de RTL, dont elle a pour mission de contrôler le respect de son cahier des charges. Or, ces interventions ont régulièrement pour effet d'agacer les responsables de RTL, le dernier interlude en date ayant été le premier relevé de l'équilibre du temps d'antenne accordé aux différents partis durant la période électorale, publié le 4 juin dernier. Une deuxième vague de cette étude effectuée à l'Université de Trèves pour le CNP va être publiée dans les semaines à venir. Les rédacteurs en chef de RTL n'apprécient pas cette tentative d'intervention et estiment qu'ils effectuent leur mission en âme et conscience, en étant respectueux de leurs obligations d'équilibre et d'objectivité, mais qu'ils doivent néanmoins aussi respecter certaines règles propre à la télévision moderne - même en temps de campagne. Une des grandes innovations prévue dans l'avant-projet de réforme de la loi de 1991 concerne justement ce contrôle: si l'attribution d'une fréquence ne sera plus soumise qu'à un «régime d'autorisation léger», la régulation du secteur devrait aussi être adaptée au concept de «corégulation» adopté peu à peu en Europe. Les orientations de François Biltgen pour la réforme de la loi de 1991, présentées en 2002, prévoient l'instauration d'un établissement public nommé «autorité de régulation indépendante» ou Ari, qui, plus professionnel et doté de moyens financiers et humains appropriés, remplacerait le CNP. Toutefois, pour qu'il y ait «co-»régulation, il faut qu'il y ait reconnaissance mutuelle, respect des compétences de l'autre. Or, il y a eu au long des derniers mois, suite aux interventions répétées du et aux études commanditées à Trèves par le CNP, une véritable rupture de confiance. Les responsables de RTL plaident pour l'autorégulation de leurs propres programmes, raison pour laquelle ils ont même instauré un «comité des sages». Ils contestent la légitimité et donc l'autorité du CNP. Une question similaire sur l'(auto)régulation se pose dans un contexte plus large pour tous les journalistes : suite à une motion adoptée à l'unanimité lors du vote de la loi sur la liberté d'expression dans les médias (dite loi du 8 juin 2004), le passage concernant la déontologie des médias pourra être remplacé d'ici trois ans si la profession se dote elle-même de son propre code de conduite. Les professeurs Christof Barth et Hans-Jürgen Bucher de l'Université des Trèves avaient proposé l'année dernière, pour le compte du CNP, un tel code de conduite - calqué grosso modo sur les modèles existants. Et provoqué une véritable levée de boucliers auprès des journalistes, qui n'avaient pas été consultés. Le Conseil de presse vient donc de créer un groupe de travail avec une quinzaine de personnes, chargé de l'élaboration d'un tel code de déontologie pour la profession. Mais là encore se pose la question de la représentativité et donc de la légitimité de cette commission : suite au putsch interne de la direction du groupe Editpress au sein de l'Association luxembourgeoise des journalistes (ALJ), les deux associations de journalistes représentées au Conseil de presse sont des organes internes, l'un d'Editpress et l'autre, l'UJL, du groupe saint-paul. Une chose est sure: le nouveau ministre avancera comme sur des oeufs dans ce dossier.