Peut-être n’avez-vous jamais entendu parler de Roee Rosen, bien que l’iconoclaste artiste israélien a fait partie de la sélection de la dernière Documenta à Athènes et Kassel, et qu’une rétrospective de ses dessins et performances vidéo vient tout juste de s’achever au Centre Pompidou à Paris. Ce n’est pas l’un des moindres mérites du private viewing dans l’espace renouvelé d’Erna Hécey au Limpertsberg (voir page 15) que de faire découvrir à un public luxembourgeois cette perle rare. Côtoyant par ailleurs du beau monde dans le cadre du projet Thinking ahead – Lawrence Weiner (une installation lettriste bilingue en anglais et luxembourgeois, s’il vous plait !), Suzanne Lafont (de beaux screen-tests découpés), la pionnière de l’art au féminin Eleanor Antin, ou encore des collages inédits de Bert Theis –, Rosen dispose d’un espace de vision spécialement aménagé pour la diffusion de son film Two women and a man. L’œuvre conte l’histoire inventée de toutes pièces de Justine Frank, muse et artiste belgo-juive qui serait l’un des chainons manquants de l’histoire du surréalisme.
Rosen s’en donne à cœur joie pour briser tous les tabous nationalistes et de genre, décuplant la puissance ironique de son récit en interprétant lui-même tous les rôles d’un scénario touché par l’ange du bizarre, en commençant par l’héroïne elle-même jusqu’aux doctes interprètes de son legs artistique.
Rosen adore disséquer le discours pseudo-savant et mettre à nu toutes les contradictions de l’art populaire. En témoignait aussi son spectacle au récent Steirischer Herbst de Graz, où son Kafka for kids prenait à rebrousse-poil une commande dans le cadre du programme Volksfronten, dont l’objectif était de faire contrepoids au discours identitaire dominant (en Autriche et ailleurs). En dynamitant les expectatives – le public médusé attendait un Kafka qui, comme Godot, n’apparaissait jamais –, Rosen y reproposa une réédition d’une de ses performances les plus connues, Hilarious, mettant à plat les rituels du rire en boîte télévisé. Décidément jamais là où on l’attend, l’artiste a consacré les dernières années à ce qui est peut-être son projet le plus ambitieux (et sérieux), The Dust Channel, cocktail d’images sur l’obsession de la poussière, et son élimination par des procédés soi-disant scientifiques. Le mélange d’images de pubs pour aspirateurs des années soixante avec des extraits de reportages actuels des enclos entourant les territoires palestiniens est hautement perturbant, tout comme les différents registres de discours passés à la moulinette d’une ironie froide qui, en poussant les délires jusqu’à leurs extrêmes, qu’ils soient de genre ou d’idéologie politique, les fait retomber sous nos yeux comme autant de soufflés. Meet Roee Rosen : les cadavres (très) exquis de l’artiste sont exposés, le temps d’une saison, chez Erna Hécey. Ronald Dofing