Bathélémy Toguo n’aime pas qu’on voie dans son travail une interrogation sur son « africanité » ou sa « négritude » : « Mon travail ne porte pas du tout sur l’Afrique », s’offusque-t-il. Même si la première œuvre que l’on voit en entrant dans le grand espace de la galerie Nosbaum-Reding montre un arbre dans lequel pendent quatre têtes décapitées noires. « Note Strange fruit, 1939, tu regarderas ce soir sur Internet », dit-il, limite énervé par la question de la journaliste. Strange fruit est une des chansons les plus célèbres de Billie Holiday, enregistré en 1939, et qui pleure les lynchages racistes du Ku Klux Klan aux États-Unis. « Je peins la mémoire de ce qui s’est passé », explique Toguo, mais que son thème dans ce travail-ci n’est ni le racisme, ni même la politique, mais le rapport de l’homme à la nature, qu’il veut célébrer.
Dans cette première salle, les grandes encres sur toile de deux mètres sur deux, à dominante verte, sont issues de sa série Homo Planta, réalisée cet été à la Fondation Blachère à Apt. Toguo, 51 ans, né au Cameroun et vivant et travaillant entre Paris et Bandjoun, y était invité pour une exposition personnelle à laquelle il convia aussi les amis de son collectif Bandjoun Station. Dans une mise en scène très théâtralisée, il y montra ces nouvelles œuvres majestueuses, des dessins vivaces d’humains dans la nature, au milieu d’arbres, de fruits ou d’éléments végétaux réduits à de grands gestes. Reforestation a pour motif une plantation de jeunes arbres entourés de proverbes africains « choisis au pif » affirme l’artiste, rencontré lors du vernissage jeudi dernier. Des proverbes comme celui-ci : « J’ai d’avantage peur de celui qui me respecte que de celui qui me menace ». Ces tableaux peuplent magnifiquement l’espace lumineux de la galerie.
Dans la deuxième salle, plus petite, la couleur, le style et le ton changent complètement : New world order est une installation de grands tampons en bois posés par terre ou sur des chaises et des tables. Les manches de ces tampons ont des formes anthropomorphes « parce que ce sont des hommes qui prennent des décisions dans les administrations », explique l’artiste. Les textes des tampons sont reproduits en bleu foncé sur des émaux accrochés le long des murs, tous en allemand (et à vendre à la pièce) : Freiheit, Frontex, Ausweis, Ihre Papiere bitte, Heimatlos... Autant de messages en rapport avec les migrations que Toguo a lus ou entendus dans la rue ou dans la presse. « C’est un regard de l’artiste sur la société », affirme-t-il, assumant aussi des slogans utilisés lors des manifestations xénophobes à Dresde et ailleurs – Merkel muss weg, Wir sind das Volk –, qui sont, pour lui, juste un témoignage de ce que pense le peuple. Cette salle, très accrocheuse, est une continuation de l’installation Urban requiem que Toguo avait réalisée en 2015, dans le cadre de la biennale très politique d’Okwui Enwezor. Il l’a adaptée peu à peu aux contextes changeants. « Mon travail parle de problèmes actuels », dit-il, comme celui que « les frontières ne sont pas ouvertes de la même manière à tout le monde. » L’harmonie rêvée est loin d’être atteinte.