Vulgarisateur et orateur talentueux, jouissant de l’aura d’un ancien vice-président des États-Unis, Al Gore a réussi, à partir de 2006, à ouvrir les yeux d’un grand nombre de ses contemporains sur l’imminence et la gravité du péril climatique. Dans son film An Inconvenient Truth, il exposait en termes simples, images fortes à l’appui, la détestable habitude de l’humanité de se servir de l’atmosphère pour y déverser des quantités massives de gaz à effet de serre. Ce film, en phase avec l’approche traditionnelle des démocrates américains, misait sur le bon sens supposé des humains et s’appuyait sur un inébranlable techno-optimisme. Par la suite, Al Gore a investi une part de sa fortune personnelle dans des projets technologiques susceptibles d’accélérer la décarbonation et a lancé, en 2011, The Climate Reality Project, association à but non lucratif vouée à l’éducation sur le changement climatique. Aujourd’hui, Al Gore revient, et, si son discours reste quelque peu empreint de techno-solutionnisme, il s’est aussi fortement radicalisé et politisé. Dans une présentation Ted mise en ligne en juillet dernier, Gore constate que des solutions existent à travers le monde, que des décisions politiques allant dans le bon sens sont prises, mais que les émissions globales continuent d’augmenter et « que c’est peut-être le moment de regarder les obstacles qui nous barrent la route ». Et de nommer les entreprises d’énergies fossiles et leurs efforts incessants pour bloquer ou freiner tout progrès.
« Ils ont utilisé la fraude et les contre-vérités à une échelle industrielle. Et en finançant généreusement leurs vieux réseaux de pouvoir politique et économique, ils ont capturé le processus de décision politique dans de trop nombreux pays dans le monde », assène-t-il.
Comme António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, qui identifie les majors comme le « coeur pollué de la crise climatique », Gore dénonce l’avidité des grandes groupes pétroliers, dont on sait qu’ils étaient au courant il y a plus d’un demi-siècle de la catastrophe à laquelle nous menait l’utilisation de leurs produits, comme le principal obstacle à la décarbonation. Ainsi, détaille-t-il, BP, qui promettait en 2020 avoir pris de manière inconditionnelle le chemin du net zéro, a-t-il annoncé en 2023 avoir renoncé à ses engagements de réduire son activité extractive et ses émissions, tandis que Shell a mis en février dernier à sa promesse d’augmenter ses investissements dans les renouvelables ; l’argent ira plutôt à de nouveaux forages.
Gore embraye sur la COP28, qui sera présidée par le CEO d’ADNOC, la compagnie pétrolière d’Abu Dhabi, ce qu’il dénonce comme un conflit d’intérêts flagrant, pour ensuite, écumant, écarter les bras face à son auditoire et lancer : « Wait a minute, do you take us for fools? »
Il est rafraîchissant de voir Al Gore ajouter sa voix, qui a du poids, au chœur de ceux qui préconisent une mobilisation massive pour enfin bouter les pollueurs hors des processus de décision relatifs au climat.