Dans son livre The heat will kill you first, qui vient de paraître, le journaliste Jeff Goodell raconte en détail comment la chaleur extrême s’installe pernicieusement et de manière profondément injuste un peu partout dans le monde. Ce sont les plus pauvres, les marginaux, les nomades, ceux qui effectuent des travaux physiques à l’extérieur et en dépendent pour leur survie économique, qui sont les premiers touchés. Goodell relève qu’il n’existe pas aujourd’hui aux États-Unis de réglementation pour protéger les travailleurs exposés aux pics de chaleur, notamment dans l’agriculture et la construction. Dans un entretien au Guardian, Goodell note que le mois dernier, le gouverneur du Texas, Gregg Abbott, a signé une loi interdisant aux villes et comtés d’imposer, pour les personnes employées à l’extérieur, des pauses pour se mettre à l’ombre et s’hydrater. « Cruelty is the point » : s’agissant la plupart du temps, pour ces travailleurs les plus exposés, de personnes de couleur, le racisme est au cœur du manquement du gouvernement (américain) à protéger les personnes vulnérables des vagues de chaleur, dénonce-t-il.
Un chapitre particulièrement édifiant de son livre, intitulé « Cheap cold air », concerne la climatisation. D’un peu plus d’un milliard d’unités individuelles de climatisation existant aujourd’hui à l’échelle planétaire, nous passerons, sur notre lancée, à 4,5 milliards d’unités d’ici 2050. Avec, à la clé, une facture énergétique appelée à exploser et, en retour, à aggraver les canicules. Un cercle vicieux alarmant, sachant que la climatisation consomme déjà aujourd’hui quelque vingt pour cent de l’électricité consommée dans le monde. Sans parler des HFC, ces substances qui ont remplacé les chlorofluorocarbones (CFC) nocifs pour la couche d’ozone dans les climatiseurs, mais ont un effet de serre 15 000 fois plus important que le CO2 lorsqu’ils s’en échappent.
C’est au Texas qu’a commencé l’essor de l’air conditionné. Goodell raconte l’aventure de l’entrepreneur Harold Goodman, qui a fait fortune à Houston en vendant des appareils de climatisation bon marché. En 2002, Goodman Manufacturing vendait 1,2 million d’unités par an. Par la suite, sa firme allait être cédée pour 3,7 milliards de dollars au groupe japonais Daikin, dont l’usine texane, surnommée « Comfortplex », est aujourd’hui une des plus grandes des États-Unis.
Hors de l’air conditioning omniprésent, point de salut, point de confort. Et le reste du monde suit. Avec les chaleurs extrêmes et les pics de demande d’électricité qui en résultent, de nombreuses régions à travers le monde se retrouvent désormais périodiquement menacées de coupures de courant. Dans des bâtiments habitables exclusivement grâce à un apport constant d’air refroidi, il en résulte des situations dangereuses pour la santé humaine. À Shanghai et à Pékin, 75 pour cent des maisons sont désormais climatisées ; en Chine, la croissance de la demande d’électricité liée à la clim’ (+10 pour cent en dix ans) pousse à la création d’usines d’électricité alimentées au charbon.