Durant plusieurs années, seules huit naissances à domicile par an étaient recensées en moyenne au Luxembourg. Ce chiffre est passé à 29 l’année dernière. Le nombre peut sembler faible par rapport au total des naissances au niveau national (environ 7 600), mais il a tout de même plus que triplé. Ce phénomène s’explique par une nouvelle reconnaissance de la profession de sage-femme. En 1967, les sages-femmes sont rattachées au statut des infirmières et exercent de moins en moins à domicile mais au sein des maternités. « Le nombre de sages-femmes libérales descend presque à zéro », souligne Nadine Barthel, travaillant à la maternité Grande-Duchesse Charlotte depuis 2002. Celle qui a présidé l’ALSF durant huit ans explique que la perception des gynécologues et celle des maïeuticiennes s’opposent. D’un côté, une vision morcelée de la femme et une conception de la grossesse comme potentiellement pathologique et, de l’autre, une vision holistique qui reconnait les compétences des femmes.
Au début des années 1980 cependant, les sages-femmes réclament de nouveaux tarifs et l’accouchement à domicile se redéveloppe… un peu. Seules les familles les plus aisées peuvent se le permettre car la Caisse nationale de santé (CNS) ne le prend pas en charge. Il faut attendre la mise en vigueur de la nouvelle nomenclature des actes et services des sages-femmes en février de l’année dernière pour que les femmes puissent recourir à des maïeuticiennes libérales en étant remboursées. Les futures mères ont donc à présent véritablement le choix sur l’endroit où elles souhaitent accoucher, bien qu’un cadre légal concernant les maisons de naissance se fasse encore attendre. « C’est un grand changement, qui laisse bien plus de liberté et d’autonomie aux femmes », se réjouit Nadine Barthel. Liberté et autonomie, deux points fondamentaux de la profession qui propose aux femmes d’accoucher dans la position désirée, différents moyens de gérer la douleur, de la musique, un bain, des huiles essentielles, des compresses chauffantes, de la sophrologie et même de l’hypnose. Les sages-femmes font appel à leurs sens comme le toucher ou l’odorat et se fient à leurs sensations, que ce soit pour déterminer la position du bébé, avec leurs mains, ou pour évaluer l’état du fœtus en écoutant son rythme cardiaque à l’aide d’un stéthoscope de Pinard. Des compétences et des connaissances qui ont été sauvegardées, développées et transmises par les communautés au fil des générations.
Suivant la compréhension de la future mère dans sa globalité, l’aspect psycho-social joue également un rôle important. Nadine Barthel assure que « la meilleure aide est d’abord la prévention. Plus la mère sera préparée et aura reçu des explications, mieux elle s’en sortira », affirme-t-elle. Après avoir accompagné la femme pendant sa grossesse et lors de son accouchement, la sage-femme veille encore, durant les premiers mois suivant la naissance, à ce que la nouvelle famille aille bien et trouve son équilibre. La maïeuticienne est alors « un peu un membre de la famille », sourit-elle. Au Luxembourg, cet accompagnement n’est réalisé que par des femmes. Sans doute à cause des stéréotypes de genre qui associent les soins à des rôles traditionnellement féminins. Au Grand-Duché, selon un recensement de 2019, aucun homme n’a suivi la formation de sage-femme, sur les 230 qui exercent dans le pays. Parmi elles, deux tiers proviennent des pays frontaliers. Afin d’augmenter le nombre de sages-femmes luxembourgeoises, plusieurs actions ont été mises en route. Outre l’élargissement des pratiques reconnues aux sages-femmes, la formation se verra prolongée dès l’année scolaire 2024-2025. Celle-ci aura lieu au sein de l’Université du Luxembourg et durera quatre ans avec obtention d’un Bachelor, le Luxembourg s’alignant ainsi sur ses voisins. Une autre demande de l’ALSF qui s’exauce. Pour son ex-présidente, ’elle fera elle aussi « gagner la profession en attractivité ».
Toujours dans le but de promouvoir l’art de la sage-femme, le Luxembourg s’est joint l’année dernière à l’Allemagne, le Togo, le Kirghizistan, la Slovénie, Chypre, la Colombie et le Nigéria pour revendiquer l’inscription de la maïeutique sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Les huit pays recevront une réponse l’année prochaine et tous espèrent plus de reconnaissance envers cet art visant à responsabiliser et faire gagner en confiance les femmes qui donnent la vie, tout en utilisant des méthodes naturelles. Les demandes pour revenir à cette forme d’accompagnement sont de plus en plus nombreuses et les réglementations semblent suivre. Outre la Journée internationale de la sage-femme du 5 mai, celle du patrimoine immatériel, le 30 septembre prochain, est aussi l’occasion de mettre la profession en avant, de souligner l’importance de la maïeutique, qui augmente les chances des femmes de vivre leur accouchement comme une expérience positive. Nadine Barthel en est en tout cas persuadée : « Un accouchement qui se passe dans de bonnes conditions, c’est une mère et un enfant en bonne santé. Une mère et un enfant en bonne santé, c’est une famille en bonne santé. Et une famille en bonne santé c’est… une société en bonne santé ! ».