On ne les aimait pas, quand on était enfant, les taques de cheminée en fonte dans les habitations aux intérieurs rustiques ou à l’opposé, faussement nobles. Ça vous avait des airs « heimisch » et kitsch, ces exécutions modernes, au fond de cheminées qui le plus souvent ne connaissaient jamais de flambée. La douce température émanait du chauffage central au fuel…
Mais quelques années plus tard, à l’adolescence, si on passait du côté du Fëschmaart, au Musée national d’histoire et d’art – c’était avant la modernisation des locaux – on avait parfois l’occasion d’en voir des authentiques. On descendait au Schéieschlach, qui faisait alors partie de la section d’art folklorique, par une trappe donnant directement sur la rue. Là, dans une cave voûtée, le Takekeller abritait des trésors de cette Schwaarz Konscht, titre de l’exposition qui vient de commencer et que l’on aura l’occasion de voir jusqu’en juin 2020.
Depuis début octobre, c’est un peu plus bas, rue du Saint-Esprit, que le Musée de la Ville ou Lëtzebuerg City Museum, présente un échantillon des quelques 300 pièces réunies par le maître de forge d’Eich, Edouard Metz-Tesch (1831-1895), à la fin du XIXe siècle. Pour voir ce trésor, ce très beau travail de fonte au plan esthétique et sociologiquement instructif, on montera dans les salles temporaires du musée, sous les combles. Les pièces exposées de la donation Fondation Veuve Emile Metz-Tesch, ont été soigneusement restaurées et formidablement mises en valeur dans une mise en espace très soignée par le nouveau directeur des Deux musées de la Ville de Luxembourg, l’historien Guy Thewes, qui vient de succéder à Danielle Wagener.
À l’origine de la taque de cheminée, il y a la fonte. Un matériau qui, en chauffant, dégage de la chaleur. Lequel remplaça dès la fin du Moyen-âge le carreau de céramique qui, depuis le fond du foyer, chauffait « la » pièce par excellence, celle où l’on cuisinait et mangeait. C’est d’ailleurs également au Fëschmaart – ouvrons cette parenthèse sur les modes d’habitation anciens et une origine linguistique luxembourgeoise – au rez-de-chaussée d’une maison restaurée de la vieille ville, qui héberge désormais une galerie d’art contemporain, que l’on peut voir « la » pièce à vivre par excellence de chez nous. Le justement dénommé « foyer » ne chauffait pas seulement la cuisine, où il faisait chaud comme dans une étuve, mais par l’arrière, en ouvrant une armoire, le Takeschaf : c’est la fameuse Stuff.
Revenons à Edouard Metz et à l’exposition Schwaarz Konscht. Un récit de cette évolution historique est retracé sous la forme d’une projection virtuelle faisant état du sauvetage par Edouard Metz, qui a eu l’instinct de conservation du maître de forge. Grâce à lui et à son sauvetage de la fonte destinée à la fin du XIXe siècle à la casse et à la vente comme vieille ferraille, on verra ici un patrimoine exceptionnel au niveau de la représentation et aussi des lieux de fabrication répartis dans la Grande région : Luxembourg, Lorraine et Sarre.
Les plus anciennes remontent vers la fin du XVIe siècle. L’exposition étant organisée de manière thématique, on ne sera donc pas étonné de voir que les motifs des taques mettaient en avant le pouvoir de la seigneurie locale, quelle soit laïque (blason figurant l’alliance entre le baron de Metternich-Bourscheid et Anne-Marguerite de Schoenberg, 1692) ou d’un prince de l’Église (armes de Bernard de Montgaillard, abbé d’Orval, 1607). On verra bien sûr le blason national par excellence, le Roude Léif, mais – il y eut aussi des taques produites à la gloire des nations qui se sont disputées la Gibraltar du Nord : ainsi d’armoiries avec des motifs de l’époque napoléonienne (début du XIXe siècle).
Plus rares sont les témoignages de la guerre de religion entre catholiques et protestants, parce qu’elle fut sans doute moindre dans notre région quand les scènes bibliques elles sont nombreuses : on verra ainsi de magnifiques représentations d’Adam et Ève (vers 1700), d’un jugement de Salomon (de la même époque) ou une étonnante Ascension de 1592, où de Jésus, seul l’ourlet est encore visible au bas des nuages du ciel…
En complément de cette scène, qui illustre font bien notre propre enchantement, les représentations du printemps et de l’été (Flore et Cérès, deux fontes de la fin du XVIIe-début du XVIIIe siècle) sont de toute beauté et bienvenues en ce début d’automne, sans oublier, à côté des héros mythologiques (Hercule, Apollon, etc.), des illustrations de notre patrimoine populaire : Notre-Dame de Luxembourg, bien sûr, mais aussi la conversion de Saint Hubert (plaque de cheminée des Ardennes de 1570) et Saint Jean Népocumène, une fonte de Dillingen, vers 1738. L’eau donc et le feu, à l’exemple du Phénix qui… renaît de ses cendres. Un motif on ne peut plus approprié pour la symbolique de l’âtre.