À la lecture du titre, Retrouvailles, on pense d’emblée à la chanson de Patrick Bruel, Place des grands hommes. Et, finalement, on n’est pas si loin du compte. Puisqu’il s’agit bien de trentenaires, non pas des anciens amis, mais des anciens camarades de classe, qui se retrouvent pour la première fois, non pas dix ans après, mais depuis leur dernière année de lycée, soit un peu plus. Mais une fois le décor planté, la comparaison avec la bluette s’arrête aussitôt. Qu’il est d’ailleurs des termes chargés d’un sens impropre dans la langue française, à moins qu’ils ne le soient devenus. Car de camaraderie, nulle trace ici. En guise de fraternité, on nous déroule un tapis de tous les vices existants : bassesse, veulerie, sadisme, suffisance, jalousie, orgueil, mensonge, mesquinerie, etc.
En fait, c’est une histoire éminemment contemporaine. Les fameuses retrouvailles ont peut-être été induites par des facilitateurs d’aujourd’hui, tels Copains d’avant ou Facebook. L’auteur a pu, vu son âge (il est né en 1985), tomber dans la marmite. Et puisqu’aujourd’hui, il ne suffit plus d’être soi-même pour exister, mais d’être moins, autant ou plus que, la tentation du regroupement devient une évidence. Exister, c’est satisfaire son ego, c’est-à-dire briller par ses traits d’esprit, se faire remarquer en parlant plus fort que les autres ou en les faisant rire, se pavaner dans des vêtements de marque, arborer un teint éclatant, sans rides et un corps de mannequin. Difficile d’y parvenir seul chez soi.
Et le protagoniste, l’anti-héros, d’organiser donc ces retrouvailles. À ses propres fins. Ses anciens « camarades » ne sont guère plus héroïques d’avoir répondu présents à l’invitation, tout au plus naïfs pour certains d’entre eux. Comme Prisme, le fragment de Jeff Schinker, également paru chez Hydre, Retrouvailles se termine « trop » tôt, avant le dénouement. Prisme était un exercice de forme, une autre version possible du court, comme une narration dont on ne capterait qu’une partie, mais ni le début ni la fin. Si Retrouvailles est dépourvu de fin, la raison se situe ailleurs. Dans la débâcle. Celle du protagoniste qui, même s’il a pu lors de ladite soirée se délecter des petites gens aux petites vies qu’étaient devenus ses anciens « camarades », a raté son but : conquérir celle qu’il convoitait alors et ridiculiser celui qui a obtenu ses faveurs.
En lisant Retrouvailles, on plonge dans un miroir de la société, portraituré au couteau. Si seulement la langue avait été plus coupante, au lieu de se repaître de grandiloquence à l’image du « je », l’ouvrage aurait été aussi dérangeant à lire que les tableaux de James Ensor à contempler ou Festen à visionner.