Michel Welter est considéré comme un père, sinon le père de la social-démocratie luxembourgeoise. Né dans une famille paysanne de Heiderscheid, le médecin est élu en 1896, encore sous le régime censitaire et sur un programme libéral de gauche, à la Chambre des députés. Quelques années plus tard, au moment du Revisionismusstreit dans le SPD allemand, il participe à la fondation du Sozialdemokratischer Verein für Luxemburg und Umgebung. Ses heures de gloire politique furent les luttes du bloc de gauche contre les cléricaux. Entré au gouvernement pendant la Première Guerre mondiale, il échoua à la tâche d’assurer l’approvisionnement du pays. En réalité, c’était la fin d’une époque où l’alliance entre la grande bourgeoisie libérale et le mouvement ouvrier naissant s’avéra contre nature et où l’introduction du suffrage universel allait marquer l’aube du CSV-Stat. Michel Welter mourut directeur du centre thermal de Mondorf en 1924. Il représenta une des deux branches qui composent la social-démocratie luxembourgeoise jusqu’à nos jours : le notable petit-bourgeois, paternaliste et anticlérical qui s’intéresse davantage aux manœuvres parlementaires qu’aux questions économiques.
Pendant des années, Michel Welter a entretenu un journal personnel. La semaine dernière, son petit-fils Robert Welter a fait don aux archives du Centre national de littérature de douze cahiers couvrant la période de 1897 à 1916. De longs extraits de ces carnets ont déjà été reproduits de façon très subjective par Jules Mersch en 1966 dans sa Biographie nationale. Mais Germaine Goetzinger, l’ancienne directrice du Centre national de littérature, vient de publier l’intégralité des notices rédigées entre le 3 août 1914, le moment de l’invasion allemande, et le 3 mars 1916, l’entrée de Michel Welter au gouvernement, c’est-à-dire plus ou moins les dix derniers cahiers. Ce fruit d’un travail de trois ans est impressionnant : Pour placer les notices de Michel Welter dans leur contexte, Germaine Goetzinger les a entourées de presque 2 000 notes explicatives et de centaines d’illustrations en quadrichromie.
Comment le chef de la social-démocratie a-t-il vécu la Grande Guerre ? Rappelons qu’au moment de l’invasion allemande, les classes dominantes, la Cour grand-ducale, le gouvernement, l’industrie, le clergé, avaient misé sur une victoire allemande, et que l’Internationale socialiste s’était brisée aux nationalismes guerriers de ses membres. Trois semaines après l’invasion, Michel Welter avait rendu visite au Premier ministre libéral Paul Eyschen et nota le 14 août 1914 : « M. Eyschen a l’air tout content. On dirait qu’il est heureux de la tournure que les choses ont prise. » Et de reprocher à Eyschen et aux « calotins » : « Que l’indépendance du pays sombre dans cette tourmente : peu leur importe, pourvu que leur barque arrive à bon port. » Mais l’attitude de Michel Welter vis-à-vis de la neutralité pro-allemande du gouvernement n’est pas dépourvue d’ambigüités.
Quant à l’Internationale socialiste, dont il était délégué, mais sécha la plupart des réunions, il se dit « pas assez naïf pour avoir pu jamais admettre que le socialisme pût entraver une guerre », car « le socialisme était comme un chapelet béni quand un orage éclate ». D’un autre côté, l’apport théorique du mouvement socialiste à la compréhension de l’impérialisme et de la guerre ne laisse aucune trace dans ses notes, Bebel et Kautsky n’y jouent aucun rôle, Hilferding et Luxemburg ne sont même pas mentionnés.
Une demi-année plus tard, Michel Welter entend gronder le 4 mars 1915 « l’orage qui doit nous emporter ». L’erreur stratégique du gouvernement risque d’être mortelle : Dans le cas d’une victoire déjà improbable des Allemands, « nous serons absorbés par l’Empire allemand », dans le cas d’une victoire des Alliés par contre, « nous serons réunis à la France ou la Belgique » pour avoir renoncé dès le premier jour de la guerre à l’indépendance nationale. La troisième option, profiter de l’affaiblissement d’un régime qui compte parmi les perdants de la guerre pour le renverser dans un soulèvement populaire, comme l’Internationale socialiste l’avait longuement discuté, ne lui vient pas à l’esprit à ce moment-là – mais il soutint la république trois années plus tard.
La guerre n’étant pas aussi courte que prévu, Michel Welter devenait de plus en plus critique de Paul Eyschen, qui était « englouti par les flots qu’il a déchaînés et qu’il ne sait plus maîtriser », comme il le nota le 31 mars 1915. Mais la mort inopinée du Premier ministre le 13 octobre 1915 ne lui valut que quelques lignes, comme un fait divers parmi d’autres.
Par contre, une partie importante des notes est consacrée aux caprices politiques de la grande-duchesse en pleine guerre, aux crises gouvernementales, aux coups tordus des amis et adversaires politiques. Le 19 octobre 1915, Michel Welter fur reçu par Marie-Adélaïde : « J’avais en face de moi une enfant avec laquelle je causais sur les plus graves problèmes de la politique. » Tandis que la famine hantait les ouvriers, Michel Welter critiqua fin décembre 1915 la campagne électorale de son propre camp : Dans trois cantons « la lutte a été placée sur le véritable terrain », contre les cléricaux et la grande-duchesse, mais « partout ailleurs, la lutte a été placée sur le terrain économique, de sorte que le résultat a été absolument faussé. »