Ces autres, ce sont nous, les lecteurs. Qui nous réjouissons que Guy Rewenig – ou son « je » – soit insomniaque. C’est bien sûr quelque peu sadique. Celui qui a déjà goûté aux affres de l’insomnie sait bien que la chose n’est pas réjouissante. Ne pas dormir ne serait en fait pas si mal vécu si ça arrivait une fois tous les 36 du mois, si cette fois-là on était seul dans son lit, c’est-à-dire à même d’allumer la lampe de chevet, de se lever et de s’adonner à telle ou telle autre occupation pour faire passer le temps sans craindre de réveiller l’autre, et si ça ne virait pas systématiquement à l’angoisse. Autant de postulats qui ne sont jamais réunis.
Mais, voilà, quand Guy Rewenig « n’arrive pas à dormir », et apparemment cela arrive fréquemment, au vu des pages qui se succèdent et de leur teinte, du noir des profondeurs de la nuit au blanc du petit jour en passant par moult gris, ces heures intermédiaires, etc., c’est l’hilarité. Car rares sont les livres aussi visuels que Je n’arrive pas à dormir. Non seulement on voit que ces nuits sans sommeil se répètent, mais on voit aussi l’évolution de l’état d’esprit de celui qui en est otage. Un tracé de montagnes russes. Du désagrément passager abordé avec une certaine philosophie (caractères de petite taille) au pétage de plombs incontrôlable (caractères de grande taille).
Et bien que le livre soit de format rectangulaire et que les pages se feuillettent de façon classique, tout prend la forme d’une spirale (infernale) ou d’un cercle (vicieux). Le livre commence par un fait : « Je n’arrive pas à dormir ». Et s’ensuit de 1 003 thèses découlant les unes des autres. Dont la conclusion est l’inévitable « Je n’arrive pas à dormir ». L’effet est devenu cause. Les enchaînements successifs se mordent la queue entre eux.
Pourtant, aucun serpent dans la fable, ni de moutons, dont on sait désormais que les compter en train de sauter une haie ne facilitera jamais l’endormissement, mais des brebis (susceptibles), des fourmis, des moustiques (agressifs), des hippopotames (bruyants), des termites (affamées), un hibou, un chat (vicieux), des perroquets (« géants »), un canard en plastique (militant), des grenouilles, des chauves-souris et des écureuils (« mendiants »). Forcément, ça fait désordre. Mais ce n’est qu’un petit aperçu. À côté du zoo animal, il y a le zoo humain et quasiment un tour du monde. Un feu d’artifice à la lecture duquel les paupières ne s’alourdissent pas.
Föödartifiss, c’est justement le nom non pas d’une nouvelle maison d’édition, mais d’un label. Une initiative privée émanant conjointement de Guy Rewenig et de Pat Wengler – c’est elle qui signe les illustrations et la conception graphique de cette première publication ! Jusqu’ici, c’était aux Éditions Ultimomondo qu’était associé le nom de l’auteur. Puis, l’an dernier, après quatorze ans, quatre Ultimomomento et un bien nommé disparümäpaaperdü, clap de fin pour Ultimomondo. Sous ce nouveau label paraîtront « de beaux livres, élaborés en toute liberté au gré des envies, des humeurs et des inspirations ». Il est rassurant de constater que l’on peut renaître de ses cendres.