25 ans d’acquisitions sur trois décennies, sont présentées en deux parties, pour cause de construction du Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean (Mudam) sur les fondements historiques de la redoute Vauban au niveau -1. C’est une présentation d’œuvres essentiellement bi-dimensionnelles. Le premier des trois volets est remplacé actuellement dans le foyer par mirror mirror : cultural reflections in fashion (lire d’Land 12.11.21) qui se terminera en même temps que sera mise en place le troisième volet des 25 ans de la Collection Mudam. Ce n’est nullement dommageable, puisqu’on y voit là un autre aspect des acquisitions transdisciplinaires du musée.
Les courants artistiques n’ont jamais obéi précisément aux changements de centenaire ou de décennies. Il se trouve en plus que Les 25 ans de la collection Mudam chevauchent un changement de millénaire et nous voici à visiter l’exposition suivant la manière thématique choisie par les commissaires Lisa Baldelli et Marie-Noëlle Farcy. La mise en espace se lit comme les chapitres d’un récit, ponctués seulement par des cimaises qui permettent des dialogues entre les œuvres, voire servent d’auvents pour une meilleurs lisibilité des vidéos. Un mur de couleur orangé entier joue le support quand une pièce implique un mur du musée. Polaris Architectes fait preuve ici, comme dans plusieurs expositions précédentes, de la maîtrise, juste comme il faut.
Suivant d’instinct le sens des aiguilles d’une montre, on a commencé notre déambulation par l’aile Est, qui ouvre sur Tension que Patrick Saytour créa en 1970. Lignes verticales simplement posées contre le mur ou assemblées en fins triangles peints ou ligaturés, la peinture se détache du mur, mais n’est pas non plus tout à fait une sculpture. Cette sortie du cadre par le courant « Supports/Surfaces », est suivie d’un habile face à face entre les œuvres de Tina Gillen et de Simone Decker. Simone Decker a représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise, Tina Gillen sera la prochaine. En 1996, la première enlevait la peau de peinture dont elle avait enduit les murs de la Galerie Beaumont à l’époque de l’avenue Monterey. Cet Untermieter, package de papier peint et de tubulures métalliques, pourrait restituer l’espace de la défunte galerie (1996) n’importe où, tandis que la villa moderniste de Gillen (Chasing Light, 2018-19), est figée en pure peinture. C’est un moment saisi, immobile, dans l’éclair d’un orage, tandis que l’habitat de béton à assembler ou désassembler, on ne sait, rencontré par le photographe Raphaël Zarka dans The Form of Rest (2006), termine ce chapitre « L’Epure des Formes ».
Malgré l’aspect majoritairement conceptuel de cette partie, toute personne sensible à la géométrie, est déjà saisi par l’émotion des tensions dans l’espace. L’émotion, sous bien des formes, est un des sentiments des 25 ans de la Collection Mudam. Le monde sensible de l’écriture joue dans l’espace invisible de la musique. Cela se passe entre la partition et la gestuelle du crayon dans la série de William Engelen Between the Bars. Une parfaite illustration, en 2015, de la thématique « Gestes et écritures ». De cet exercice libre de pur dessin, on passe à la partie « L’Espace du Corps ». Les rêves d’architecture entravent les personnages d’Eva Kotàkovà (Controlled Mermory Loss de 2009), où l’artiste va l’encontre du discours dominant politiquement correct de notre millénaire : tous propriétaires et endettés à vie. Au vingtième siècle, cela se criait : telle Tania Bruguera en 1997, bouche et yeux clos, poings serrés derrière son tablier-carcasse et le cri de Marina Abramović dans la vidéo Freeing the Voice (une série de quatorze vidéos commencées dès 1975) qui emplit l’espace.
On s’est retrouvé, un peu interloqué, après avoir goûté, de Marie Cool et Fabio Balducci, le silence du temps qui passe à l’aune d’un corps cadran solaire (ouverture dans le mur, lumière, 2007), avec un jeune visiteur marchant au même rythme, dans l’aile Ouest dans le monde des « Règles du jeu ». Est-il possible que des œuvres qui ont un quart de siècle voire moins, paraissent de purs exercices de style ? Jutta Koether et même Franz West et Bernard Piffaretti se confrontent à un art qui définit ses propres règles ou le cadre des contraintes de l’art. Ils ne nous convainquent pas. On est assurément plus à l’aise, en 2021, en face de récits d’histoires. Ainsi dans la Pologne d’après la réunification Est-Ouest, en désintégration, dans la gigantesque photographie de Hannah Collins (In the Course of Time VII, Huta Chemical Works Silesia, 1996) et bien sûr, la vidéo-récit du génial William Kentridge illustrant, via l’écrivain Italo Svevo, les débuts du terrible vingtième siècle et la guerre de 1914-18.
Mais peut-être avons-nous tort. Bruce Nauman, dans Setting a Good Corner (Allegory & Metaphor), c’était en l’an 2000, disait « l’art fait ce que font les artistes ». Ainsi des reliefs du dîner géant Dining Motions de Tony Cragg (1982), la composition aléatoire d’objets du quotidien de Galaxy Evolution Melody, vidéo de Lutz & Guggiesberg (2012) et le sol en PVC de la cuisine de Jürgen Drescher. Montée dans une structure en aluminium, renversée à la verticale, elle jaillit dans l’espace. Zu gross für über’s Sofa (2008) ne peut être vu que dans un musée. Le Mudam le propose.