D’abord, il y a le père, Charles Berling, qu’on croise régulièrement depuis vingt ans dans ce que le cinéma français compte de personnages sur la brèche. Même quand il fait des incursions télévisuelles, c’est tout de suite Robert Badinter ou Jean Moulin. Squatteur infatigable de scène, il dirige, joue et chante même. Et là, c’est dans le costume un peu trop sombre d’un directeur de lycée qu’on le retrouve dans Comme un homme, le quatrième long-métrage de Safy Nebbou. Il transpire le silence et le non-dit, impressionné par son fils, qu’il élève seul depuis la mort de sa femme.
Mais avant de savoir toute cette histoire, on aura plongé, presque littéralement, avec l’ado, Louis : Emile Berling, garçon de Charles et protagoniste principal de ce croisement entre polar et drame intimiste. Comme un homme, donc, Louis vient d’aider son ami Greg (Kevin Azaïs), à kidnapper leur prof d’anglais (Sarah Stern). Bravant la nuit humide des marais, le souffle court, ils pagaient jusqu’au cabanon presque abandonné du père de Louis et en quelques tours de clés, tout semble dit. Au lieu de la libérer le lendemain comme promis, Greg s’amuse et prolonge la rétention. Louis ne dit rien, il observe la dureté du regard et le sadisme facile de son camarade. Il prend même sa défense quand son père, évidemment très loin d’imaginer la réalité, se voit contraint d’expulser le jeune turbulent de l’école.
Tout le temps, Louis ment. Par omission, souvent. À son père, aux parents déroutés de Greg (Mireille Perrier et Patrick Bonnel), à sa proie, à lui-même. Safy Nebbou prend du temps pour rendre compte des comportements de Louis. Les mensonges et la solitude du jeune homme se reflètent dans une mise en scène sobre, répétitive, géographiquement installée : les éoliennes, cette route peu fréquentée, puis cette forêt anonyme, semblable à toutes, dense ou clairsemée selon les endroits, mais toujours profonde. L’endroit garde encore en mémoire sa mère et retient désormais sa captive, suivant ainsi au plus près l’évolution malsaine de Louis. Guidé par des instincts qu’il ignorait, il convoque ses fantômes, s’arrange avec son éducation. Son rapport à la séquestration est instable, à la séquestrée encore davantage. Les cadrages insistants sur son regard, tantôt déterminé, tantôt apeuré, témoignent de sa torpeur et de son émancipation de la figure paternelle. Mais ils deviennent bientôt les seuls référents, occultant toute autre tentative de dramatisation, ce qui empêche le film d’aller plus loin dans la tension encore nécessaire. L’animalité de Louis appararait même reniée dans ce face à face final avec son père.
Des contradictions propres à l’adolescence, première nourriture du roman de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, L’âge bête, qu’il a bien fallu remanier, l’histoire originale se passant à la fin des années 1970. Co-produit par Samsa et en partie tourné au Luxembourg, le film de Safy Nebbou souffre de carences dramatiques qui l’empêche d’aller plus loin que cette intéressante approche. En revanche, tout comme avec Catherine Frot et Sandrine Bonnaire (L’empreinte de l’ange, 2008), le réalisateur prouve une nouvelle fois sa capacité à diriger les acteurs et à créer des duos marquants.