C’est à partir d’une centaine d’heures de matériau brut, que Paul Poet réalisa en 2001 le documentaire Ausländer raus – Schlingensiefs Container. Ces 90 minutes d’images originales accompagnées d’interviews sont le compte rendu de l’action Bitte liebt Österreich que Christoph Schlingensief avait mise en scène sur la place publique, devant l’opéra de Vienne en 2000. L’artiste allemand avait fait installer cinq containers qui abritaient une douzaine de demandeurs d’asile. Schlingensief avait prétendu que l’on pouvait voter pour ou contre ces candidats à la nationalité autrichienne, via un site internet qui permettait d’intégrer les heureux gagnants, ou alors de faire expulser les infortunés, grâce à un plébiscite anonyme, tel qu’il était pratiqué, à l’époque pour l’émission de téléréalité Big Brother. Le bruit énorme et les réactions à chaud, mais aussi les réflexions à postériori à cette imposture géniale, sont les composantes d’un film qui a fait connaître Paul Poet au delà des frontières de l’Alpenrepublik.
Son nouveau film Empire Me, qui commence dans la tempête de l’Atlantique, pour se terminer dans les eaux, bien plus calmes, du Grand Canal de Venise, est de nouveau une réflexion sur la contrainte des frontières et de leur promesse d’indépendance, voire d’autonomie. Lors d’une interview pour le Land, Paul Poet a confirmé que cela fait des années qu’il s’intéresse, en tant que réalisateur et en tant qu’artiste, à toutes sortes de résistances citoyennes et individuelles. À la suite de son documentaire sur le happening politique de Schlingensief, Paul Poet avait été invité, en 2003, au premier congrès international des micro-nations à Helsinki. C’est là, parmi les six participants essentiellement issus du milieu artistique, qu’il a rencontré les citoyens de la principauté de Sealand, que Poet décrit lui-même comme des vieux pirates qui se distinguaient nettement du lot des autres artistes présents. Et c’est avec cette ancienne fortification maritime qui date de l’époque de la deuxième guerre mondiale, que Paul Poet fait débuter son documentaire, lequel, en six épisodes, illustre des tentatives de groupes et d’individus pour créer leur propre territoire, leur propre petit empire. Que ce soit dans l’outback australien, ou alors en plein centre de Copenhague, Paul Poet se promène en explorateur de ces utopies, parfois très réelles, dont Edwin Strauss qualifie Sealand comme grand-père des tentatives et réalisations de micro-nations actuelles. Dans son livre How to start a country, Strauss décrit bien le statut ambigu, mais persistant de cet îlot artificiel au loin des côtes britanniques, qui a commencé par être une plateforme de radio pirate pendant les années soixante pour devenir aujourd’hui le site d’implantation d’un serveur dont Strauss précise qu’il abrite : « Internet’s most dubious sites ».
Mais alors que le film de Paul Poet commence comme l’aventure d’une exploration, il se transforme rapidement en une sorte de voyage initiatique, quand il visite la très spirituelle Fédération de Damanhur située dans le Piémont ou alors quand il pénètre dans les partouzes à l’huile corporelle du ZEGG, le Zentrum für experimentelle Gesellschaftsgestaltung près de Bad Belzig.
Mais c’est peut-être dans l’épisode dédié au site de Christiania que Paul Poet s’est le plus confronté à une actualité difficile et périlleuse. Lors du tournage, il y a eu toute une série d’interventions musclées de la police de Copenhague sur le site autonome qui a été fondé en 1971. C’est ici que le cinéaste parvient encore le mieux à montrer combien ces lieux d’indépendance sont fragiles et menacés de disparaître, bien que la situation de Christiania se soit à nouveau stabilisée depuis.
Empire Me nous illustre des lieux et des initiatives qui ont été imaginés à partir des années soixante pour être, le plus souvent, réalisés à contre-courant des années soixante-dix. Il y a dans ce documentaire de Paul Poet une étrange nostalgie qui s’intensifie par le fait que l’auteur du film ne donne presque pas d’explications en voix-off sur ce qu’il nous montre. Quelques phrases en forme de slogans au début de chaque épisode sont toute l’information que Poet nous assène. En cela il laisse au spectateur une liberté d’interprétation dont on n’a peut-être plus l’habitude dans le milieu, parfois très scolaire mais rarement docte, du documentaire d’aujourd’hui.
Thierry Besseling
Kategorien: Films made in Luxembourg
Ausgabe: 08.06.2012