La tension monte. Sur l’impressionnant escalier argenté du grand magasin « Au bonheur parisien » sont alignés des dizaines de techniciens, artisans, producteur et journalistes, les yeux rivés sur la fourmilière qui se déploie à leurs pieds. Des dizaines de figurants sportifs, munis de sachets pleins de courses, répètent encore et encore la même scène, une voix off dit « boum ! » – et ils tombent par terre. Un responsable cascades surveille leur sécurité, ajuste la position des matelas sur lesquels ils vont tomber en chutant. Il faudra absolument avoir assez de plans de coupe à monter en contre-champ de la scène principale qui sera tournée ce jour-là, lundi 5 mars : la grande déclaration d’amour de Benjamin Malaussène (Raphaël Personnaz) à Julie Corrençon (Bérénice Béjo, aka Peppy Miller dans The Artist), qui se déroule dans le chaos de l’explosion d’une bombe.
Les techniciens et artisans sont là parce que leur travail de plusieurs semaines sera détruit en quelques minutes. Et la scène ne peut pas être répétée. Les machines sont mises en marche, ça fait un bruit de ventilateur, puis arrive le grand « boum ! » une détonation impressionnante, les vitrines et les décorations du grand magasin volent en éclats, après le bruit et la fumée, il y a des débris de verre partout... presque comme en vrai, les blessés en moins, tout est sous contrôle. Soulagée, l’équipe applaudit, le producteur Lilian Eche, de Bidibul Productions, sourit. Immédiatement, des dizaines d’aides sont là pour tout ramasser et nettoyer avant la prochaine scène.
Nous sommes à Contern dans les studios de Kuhn, où Bidibul a investi les deux plateaux en parallèle, on tourne dans le grand de 1 200 mètres carrés pour construire un nouveau décor dans le petit, de 450 mètres carrés, et vice-versa. Le tournage est celui de Au bonheur des ogres, le deuxième long-métrage du jeune réalisateur français Nicolas Bary (né en 1980), qui avait déjà tourné son premier, Les enfants de Timpelbach, en 2008 au Luxembourg et en coproduction avec Bidibul. Le film est une adaptation, par le réalisateur lui-même, avec Jérôme Fansten et Serge Frydman, du roman éponyme de Daniel Pennac, paru en 1985 chez Gallimard, et qui inaugure sa « saga Malaussène » comptant en tout six romans qui ont bercé la jeunesse de plusieurs générations de jeunes lecteurs français ou francophiles. La collaboration avec l’auteur primé par un Prix Renaudot pour son essai Chagrin d’école en 2007 a d’ailleurs été tellement bonne que Daniel Pennac viendra visiter le tournage la semaine prochaine. Entamé le 16 février à Luxem[-]bourg, le tournage s’arrêtera ici le 29 mars, avant de se terminer à Paris du 2 avril au 4 mai. Pour un budget global de douze millions d’euros, cette coproduction franco-luxembourgeoise est financée à hauteur de 2,5 millions par Bidibul. Le film devrait être achevé à la fin de l’année pour une sortie prévue en 2013 par Pathé distribution.
Et c’est une grosse machine : 52 comédiens, dont les deux stars Bérénice Béjo et Emir Kusturica dans le rôle de Stojil, l’ami de Benjamin Malaussène, une centaine de figurants, surtout pour faire les foules dans le grand magasin, des centaines de techniciens, de menuisiers, serruriers, peintres, électriciens, ingénieurs du son, cameramen, maquilleuses, décorateurs, qui conçoivent tout le décor sur place. Comme la saga, qui se déroule à Belleville, se joue en plus sur plusieurs décennies, il faut faire évoluer les décors et l’achalandage du grand magasin et les appartements successifs de Malaussène, dont la profession est d’être le bouc émissaire des clients mécontents. « L’idée, confie Lilian Eche, serait d’en faire une trilogie, mais ça dépendra du résultat de celui-ci. » Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équipe a aligné les conditions pour s’assurer le succès.