On n’y parle pas doping. Le fric, pourtant un des moteurs essentiels de tous les sports de compétition, n’y est même pas évoqué. Flavio Becca, l’homme derrière Leopard Trek, n’apparaît que dans un seul plan, lorsqu’il affiche un large sourire le soir de la présentation de son équipe de rêve... The Road uphill de Jean-Louis Schuller (High/ Low, Chungking dream) est un documentaire de cinéma et non pas un reportage de télévision. C’est un film d’auteur aussi, pour lequel le réalisateur, qui a une formation de cameraman, a cherché un angle original, une histoire derrière les déjà mythiques frères Schleck avant d’accepter la proposition du producteur Paul Thiltges de les suivre dans leur défi de gagner le Tour de France 2011. Cette histoire, racontait-il dans des entretiens dans la presse, il la tenait à partir du moment de la constitution d’une équipe nationale autour des deux frères. Mais même le folklore, la véritable idolâtrie que leur voue toute une nation, ne sont guère qu’effleurés dans le film.
Le véritable sujet de Jean-Louis Schuller, c’est la volonté des deux frères, décrits comme un Janus, un seul corps avec deux têtes, de gagner la plus prestigieuse course cycliste du monde. Et pour la gagner, il leur faut surmonter d’énormes souffrances, avoir un moral d’enfer pour résister à la pression constante qui pèse sur eux, avoir le sens du sacrifice (seul l’un des deux pourra gagner) et vaincre la peur de l’accident. Après la chute de Fränk Schleck en 2010, lorsque son tour s’est terminé à l’hôpital avec une clavicule cassée, et surtout après l’accident mortel du jeune Wouter Weylandt, membre de Leopard Trek, lors du Giro d’Italia en mai, le risque constant des cyclistes, qui n’ont qu’un petit casque pour se protéger, devient palpable. Philippe Brunel, journaliste sportif spécialisé en cyclisme, qui intervient longuement dans le film (à côté de son confrère britannique Phil Ligett), affirme d’ailleurs que le Tour de France 2011 a été perdu dans la descente du col de Manse, vers Gap, où Andy Schleck, prudent sur la route glissante, a perdu les quelques précieuses secondes qui lui manquaient à l’arrivée pour être en haut du podium. Ce que son père, Johny Schleck, confirme en soulignant qu’il appris à ses fils que ne pas se retrouver à l’hôpital était plus important que de gagner à tout prix.
Jean-Louis Schuller a suivi l’équipe Leopard Trek dès le premier stage en montagne, où les cyclistes de l’équipe se retrouvaient librement pour faire connaissance – avant d’enfourcher les vélos pour une dure saison d’entraînements et cette grande ambition de gagner à Paris. Bien qu’amateur de cyclisme, il n’est pas spécialiste sur la question (ce que des journalistes sportifs locaux allaient d’ailleurs lui reprocher avant la sortie du film), mais il s’intéresse toujours dans ses films aux motivations des gens qu’il observe à se passionner autant à faire ce qu’ils font – que ce soit le jeu ou le sport. Grâce à sa discrétion, à la distance qu’il gardait (il n’a jamais harcelé les cyclistes durant ou juste après l’effort) et à son équipement léger, il a réussi à pénétrer leur univers. Ce qui vaut au film des moments inédits, comme les discussions stratégiques avec l’équipe et ses leaders dans le bus avant une étape ou les séquences à l’intérieur de la voiture de Kim Andersen et Brian Nygaard lors du Tour.
Puis il y a ces moments incroyables où l’on voit (enfin) l’émotion d’Andy et de Fränk Schleck : un regard vide marqué par la douleur et la déception, qui ne dure que quelques secondes – Jean-Louis Schuller est là où les journalistes se perdent dans le chaos ambiant, et « fait du Schuller », en réduisant la coulisse sonore sur l’essentiel, une respiration, le bruit d’une serviette qui sèche la transpiration, faisant comme des parenthèses en apnée dans la tête d’un homme qui se rend compte de la portée de ce qui vient de lui arriver. Ou cette accolade intime de Fränk pour Andy à l’arrivée du dernier contre-la-montre, où les deux frères ont compris qu’aucun des deux n’avait gagné le Tour 2011. Et Jean-Louis Schuller nous offre de ces superbes images dont il a le secret, comme le regard tendu des fans en attente dans les montagnes, de véritables murs de drapeaux au lion rouge, des images de nature aussi. On en oublierait presque que vers la fin, le film a quelques longueurs, qu’il se prend quand même au jeu de l’excitation pour la course et que c’est un peu décousu par moments.