Paul Scheuer et Maisy Hausemer ont écrit un scénario. C’est bien d’écrire des scénarios, les responsables politiques et du Film Fund soulignent à longueur d’année que les scénarios des films luxembourgeois seraient leur faiblesse. Celui-ci serait même tellement bien que le jury du Filmpräis 2012, présidé par Marie Labory, lui a attribué un « prix de la meilleure contribution artistique », tenant même à « relever la qualité littéraire et l’originalité de l’écriture scénaristique » de l’œuvre. Or, fait assez rare au Luxembourg, des huées ont accompagné la montée sur scène des deux pionniers du film luxembourgeois le soir de la remise des prix devant un parterre de 800 invités, vendredi 9 mars, au Chapito à Mondorf. C’est peut-être parce que le film, D’Symmetrie vum Päiperlek, réalisé par les scénaristes eux-mêmes, qui n’avait été présenté que la veille, dans le cadre du festival Discovery Zone, n’est pas vraiment bon. Peut-être aussi parce que l’histoire de ce scénario est emblématique de la manière « à la luxembourgeoise » de prendre des décisions – du Gemau-schels et Geknëchels à n’en pas finir.
Flash-Back. Dans les années 1980, des amateurs passionnés de Diekirch, enseignants cinéphiles pour la plupart, regroupés sous le nom collectif d’Afo, font des films en langue luxembourgeoise, auto-financés au début, comme Wat huet e gesot ?, Klibberkleeschen..., ou Dammentour, le dernier, en 1991. Paul Scheuer et Maisy Hausemer sont le noyau dur de ce collectif, mais, pour des raisons personnelles, arrêtent le cinéma. En 2007, ils se voient récompensés par un Filmpräis d’honneur pour leur rôle de missionnaires et on se disait que c’était le couronnement (mérité) d’une carrière. Or, depuis que Paul Scheuer avait participé au concours de scénarios du Film Fund, lancé en 2001, et remporté le deuxième prix (soit 1 239 euros) avec une première version d’un scénario intitulé D’Symmetrie vum Päiperlek, l’idée d’en réaliser un film n’allait plus le lâcher. Entreprise à laquelle lui et Maisy Hausemer allaient s’atteler après leur retraite.
Or, à leur consternation, leur demande d’aide directe auprès du Film Fund a été rejetée par le comité de lecture de ce dernier en 2008, notamment à cause de la faiblesse du ...scénario ! Commence alors un travail de lobbying de longue haleine des deux scénaristes : de nombreuses entrevues au Film Fund, lettres, critique publique quant aux critères de sélection et clés d’attribution des aides financières, calcul méticuleux des sommes investies par film et du nombre de spectateurs... Cette critique culmine lors des Assises du film luxembourgeois, qui se sont tenues à portes fermées le 3 mai 2010. Paul Scheuer et Maisy Hausemer ont désormais un producteur en la personne de Nicolas Steil (Iris), ont plusieurs fois réécrit le scénario – et ont la sympathie du ministre des Communications, François Biltgen (CSV). Entre-temps, la composition du comité de lecture a changé. Début 2011, une nouvelle demande de soutien est déposée au Film Fund, avec un scénario retravaillé – qui est à nouveau rejeté. Le troisième dépôt du dossier, avec une dernière réécriture du scénario, se fait le 30 juin, deux mois avant le tournage – et passe.
Au final, le film aura été réalisé avec un budget total assez modeste pour un long-métrage de 1,9 million d’euros, dont 1,2 million d’aides directes du Film Fund. Et a donc reçu ce Filmpräis pour ce scénario si décrié, attribué par un jury dont un membre, Claude Bertemes, le directeur de la Cinémathèque, était à l’époque membre du comité de lecture qui avait rejeté le scénario en 2008, et dont un autre, Claude Frisoni, directeur de l’Abbaye de Neumünster, joue dans le film. Tout cela a certainement contribué à créer ce malaise vendredi dernier.
Quel est donc ce prix ? D’Symmetrie vum Päiperlek polarise surtout parce que c’est un film « fait main » qui ressemble au cinéma luxembourgeois d’il y a trente ans : les mêmes acteurs (Marc Olinger, Fernand Fox, Marie-Paule von Roesgen...) pour raconter une histoire farfelue se basant sur un scénario très littéraire (avec un hommage poussif à Roger Manderscheid) et extrêmement laborieux, se déroulant sur plusieurs niveaux (la réalité et l’imaginaire), avec un humour lourdingue et des références à la pelle à la réalité locale. Un film « luxo-luxembourgeois », ancêtre des comédies d’Andy Bausch. Ce contre quoi il n’y a rien à dire, car il y a un public pour des histoires locales, la sitcom Weemseesdet le prouve, mais le problème est surtout dans sa réalisation : ce qui manque, c’est l’émotion, la direction d’acteurs et cet élément magique en plus qui aurait fait fonctionner le côté surréaliste. Il aurait été impossible de lui accorder le prix du meilleur film face à une maîtrise autrement plus grande que celle de Beryl Koltz, la gagnante, avec Hot Hot Hot (Samsa). Elle incarne avec tous les autres lauréats, de la jeune garde, la nouvelle génération, l’espoir du cinéma autochtone, sa professionnalisation.
La cérémonie de remise des Film[-]präis est, selon le vœu du ministre Biltgen, qui l’a instauré lors de son premier mandat rue de Cassal, une « fête de famille » du secteur audiovisuel. La soirée coûte le prix d’un court-métrage au Film Fund, 120 000 euros, plus 60 000 euros récoltés par du sponsoring, et apporte une touche de bling-bling au métier, grâce aussi à une large couverture médiatique. Mais il n’est pas sûr ce que sont ces prix : une récompense pour un film après qu’il ait fait sa carrière au cinéma, comme Hot, Hot, Hot, Illégal d’Olivier Masset-Depasse (Iris), meilleure coproduction ou High/Low de Jean-Louis Schuller et Sam Blair (Samsa), meilleur documentaire – donc comparable à un César ou un Oscar – qui l’aidera dans sa carrière sur DVD ? Ou un coup de pouce promotionnel avant sa sortie en salles pour un film qui n’a pas encore été vu par le public, au même titre qu’une Palme d’or à Cannes. C’est le cas pour d’Symmetrie... mais aussi pour En Dag am Fräien, le meilleur court-métrage de Govinda van Maele, dévoilé lui aussi dans le cadre du Discovery Zone (voir d’Land du 9 mars), ainsi que des films nominés comme Les fameux gars d’Adolf el Assal (Independent Spirit) que personne n’a vu, ou Belle Époque d’Andy Bausch, présenté ce mercredi.
Let me entertain you La soirée de remise, elle, s’est vraiment professionnalisée depuis la première édition, en 2003, aux Rotondes (exception faite du catering, qui reste un problème). Le maître de cérémonie, Gabriel Boisanté, donnait un excellent show, rythmé, plein d’humour, avec de petits films dynamiques produits par This is Radar et la musique de Fred Baus en deejay. En tout, 46 films concouraient dans les différentes catégories du Filmpräis ; un pré-jury avait dû diviser le nombre de films nominés pour le prix de la meilleure coproduction par deux tellement ils étaient nombreux, mais pour la catégorie reine du « meilleur long-métrage », seuls quatre œuvres étaient prêtes, le prix pour Beryl Koltz une évidence. C’est dans les catégories techniques et artistiques que cela coinçait : 51 personnes nominées pour la meilleure contribution technique, 74 pour l’artistique – catégorie qui va de l’acteur en passant par le réalisateur jusqu’au compositeur. Et le plus étonnant alors est l’absence, dans le palmarès, des acteurs : ce sont eux qui incarnent les films, qui leur donnent un visage, mais, à l’exception du prix « jeune espoir » pour Vicky Krieps, aucun d’entre eux n’a été récompensé d’une manière ou d’une autre. Pourtant, si la Symétrie du papillon avait vraiment mérité un prix, réellement mérité, c’eut été un prix d’interprétation pour Marie Jung, dans le rôle de Sophie/Sofia, qui porte l’œuvre à bout de bras et l’illumine de son enthousiasme.