Vienne, au début du XXe siècle. Elle est en voie de devenir une pianiste qui changera son époque. Éperdument amoureuse de son frère, elle est pourtant prête à tout lâcher pour lui afin de vivre leur rêve commun. Il est poète, un génie qui sait résumer la noirceur et la brillance de son époque en quelques vers. Ensemble, ils vivent l’histoire d’amour impossible, celle que personne d’autre sauf eux n’ose vivre à leur époque comme aujourd’hui, celle qui les mènera là où Roméo et Juliette somnolent depuis belle lurette.
Sexe et drogues, art et inceste, voilà des ingrédients scénaristiques qui sonnent de loin tape à l’œil et faciles. Un léger décalage s’opère une fois que les noms de Georg et Grete Trakl tombent pour la première fois. Nous avons changé de registre, en passant dans le biopic. La scénariste Ursula Mauder ne s’est pourtant pas empêchée de prendre ses distances avec l’Histoire sur de nombreux points dont le principal réside dans la consommation de la relation entre Georg et Grete Trakl. Là où l’Histoire nous apprend d’être sur nos gardes, de ne pas prendre comme argent comptant ce qui n’est pas prouvé, la fiction, qui est le fruit de notre imagination, peut prendre ses libertés, au risque de déformer l’Histoire, de la falsifier, de la raconter d’un point de vue subjectif qui nous amène au meilleur des cas vers une nouvelle vérité, celle des fabricants du film d’aujourd’hui.
Montré en avant-première au Luxem[-]bourg durant la dernière édition du Discovery Zone, Tabu – Es ist die Seele ein Fremdes auf Erden, une co-production entre le Luxembourg (Iris Produc[-]tions), l’Allemagne (Film-Line Pro[-]ductions) et l’Autriche (Eclypse En[-]tertain[-]ment), est finalement sorti vendredi sur nos écrans, après que la protagoniste du film ait décroché le prix de la meilleure interprétation féminine au dernier Max Ophüls Festival à Sarre[-]bruck en janvier.
Personne ne connaissait Peri Bau[-]meister avant ce film, alors que Lars Eidinger, l’acteur avec lequel elle partage l’affiche du film, est déjà un comédien remarqué en Allemagne, notamment pour ses nombreux rôles à la Schaubühne de Berlin. Du point de vue du casting, le réalisateur Christophe Stark a opté pour une demoiselle qui possède physiquement et psychologiquement la virginité et la fragilité d’une petite fille derrière laquelle se cache la détermination et la volonté de fer d’une femme indépendante en puissance. En somme, l’ambiguïté requise pour jouer le rôle de Grete Trakl. Lars Eidinger incarne quant à lui un Trakl tantôt dominant et brut, tantôt en retenue et pas sûr de lui. Ce jeu fait écho à la complexité du jeu de Peri Baumeister évoqué plus haut.
Si les deux acteurs, dans leurs rôles respectifs ont réussi leur prestation, le lien magique qui fait que le spectateur adhère totalement à cette relation incestueuse est absent. Une preuve de plus qu’il ne suffit pas à un acteur de camper son rôle avec brio, mais qu’il doit créer une alchimie avec l’acteur en face qui donne naissance à la justesse d’une relation humaine sur grand écran. Que ce lien est aussi falsifié par de nombreuses postsynchronisations des voix des deux acteurs, rajoute davantage d’artifice dans la construction d’ensemble. Et pourtant, il subsiste une part de magie, dû par-dessus tout à la sensibilité de Bogumil Godfrejow, le directeur de la photographie du film, qui suit les acteurs la caméra à l’épaule, et qui devient véritablement le troisième protagoniste du film, en nous faisant entrer par ces mouvements dans la nervosité et l’empressement du couple incestueux.
Sans jamais être un film tout à fait historique, ni une histoire purement inventée, le film touche par son indécision de se ranger dans une catégorie clairement définie et formatée. À l’image des personnages qui transpirent tout le long du film, et de la nature qui s’adapte aux humeurs et émotions des deux protagonistes, le film, dans sa manière de montrer le fruit d’un amour défendu et indicible dans tout ce que les extrêmes peuvent avoir de sincère, nous interroge dans notre rapport à l’amour, à la passion et au désir.