La croissance réelle sera, cette année encore, exceptionnelle : le PIB va croître de 7,5 pour cent, voire plus, ce qui ferait de la première année du millénaire un nouveau cru record. La bonne conjoncture est générale.
Le reste en découle : l'emploi a augmenté de 10 500 postes, soit 5,6 pour cent au cours des seuls huit premiers mois de l'année, alors qu'il avait déjà augmenté de cinq pour cent sur toute l'année 1999. Si l'on garde à l'esprit que les frontaliers occupent sept sur dix emplois nouvellement créés, on comprend mieux l'extrême imbrication de notre marché du travail dans celui de la Grande Région transfrontalière.
Avec une croissance aussi forte, la demande de main d'oeuvre a résorbé quasiment le chômage conjoncturel. La majeure partie du chômage peut être qualifiée de chômage frictionnel.
Le point faible du bilan économique de l'année 2000 restera probablement l'inflation. Pour apprécier l'inflation au Luxembourg, il faut utiliser le bon indicateur, étant donné qu'on a le choix entre deux instruments différents : l'indice des prix à la consommation national, - l'IPCN en abrégé - et l'indice des prix harmonisé, appelé IPCH, qu'utilise Eurostat dans les comparaisons communautaires.
Ce dédoublement a été rendu nécessaire en raison de la part prépondérante prise par certains articles chéris par les consommateurs frontaliers, à savoir l'essence et le tabac. Or, c'est l'IPCN, mesurant les prix à la consommation des résidents, qui est à la base de l'indexation des salaires et des traitements, qui sert à l'adaptation de diverses prestations et qui permet l'ajustement des clauses dans de nombreux autres contrats.
C'est donc cet indice qu'il faut observer de plus près. L'IPCN a augmenté en octobre de 3,45 pour cent. Au cours des trois derniers mois, l'inflation a été de 3,3 pour cent en moyenne. Il est vrai que, comparée à 1,4 pour cent au cours de la même période de l'année précédente, elle a plus que doublé. Les causes de cette flambée sont bien connues : elles tiennent à l' « euro-oil shock » selon l'expression du Financial Times.
Il y a cependant une explication particulière, technique, dans le cas du Luxembourg: la part du cours du pétrole dans le prix final des carburants est plus importante chez nous que dans les pays voisins. En revanche, nos taxes et accises sont très faibles. Résultat: une hausse du prix du baril produit, chez nous, des mouvements plus amples sur le prix à la pompe.
On doit également garder à l'esprit que la grande majorité des produits sont importés, les prix sont déterminés par les fournisseurs extérieurs et ne résultent pas du mécanisme domestique de formation des marges bénéficiaires et des salaires. C'est pourquoi les statisticiens calculent un indice spécial, renseignant sur « l'inflation sous-jacente », qui est en fait un indice apuré des produits volatils comme les produits pétroliers ou les produits frais. Cet indice s'est maintenu à 2 pour cent entre juillet et août. Ce n'est pas un chiffre dramatique ! Certes, il faut admettre que le taux d'inflation est plus élevé que dans les pays voisins et il convient donc de surveiller son évolution au plus près.
Il m'importe cependant de souligner que le mécanisme d'indexation automatique des salaires ne semble pas en cause, même s'il peut accélérer la répercussion des hausses de prix . En effet, pendant de longues années, le Luxembourg a pu se prévaloir d'une inflation inférieure à celle de ses partenaires , et cela malgré l'indexation automatique des salaires.
L'indexation n'est redoutable que dans des cas exceptionnels comme le choc inflationniste de triste mémoire survenu avec la dévaluation intempestive de 1982. Mais depuis l'entrée dans l'Union monétaire, une telle secousse ne risque plus guère de se produire. Il faut donc se garder de jeter trop hâtivement l'opprobre sur le mécanisme de l'indexation automatique des salaires. Le Statec prévoit que l'inflation atteindra 3,1 pour cent en fin d'année. Un chiffre qu'on peut qualifier d'acceptable.
Il faut, bien sûr, prendre en compte l'exigence de compétitivité. Or, celle-ci est, par définition, une notion relative. Ce n'est pas le niveau absolu des coûts, des prix et des marges qui compte, mais l'avantage comparatif par rapport aux concurrents. Les coûts salariaux y jouent assurément un rôle important. Mais je fais confiance à l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux qui doivent tenir compte de l'exigence de compétitivité dans la conclusion de conventions collectives.
Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de la productivité du travail fait baisser le coût salarial par unité produite. On peut en déduire une règle macro-économique simple mais fondamentale : l'évolution des salaires ne doit pas dépasser l'évolution de la productivité du travail en termes réels.
S'il y a un élément fondamental de la compétitivité qui est directement sous le contrôle des pouvoirs publics, c'est la charge fiscale. Tous les pays voisins ont relâché la pression fiscale. Il fallait donc agir. Le gouvernement le fait en deux temps : une réduction en 2001 qui supprime la deuxième et la dernière tranche, ramenant le taux marginal maximum à 42 pour cent et le taux minimal à 14 pour cent. Une baisse additionnelle interviendra à partir de 2002: le taux marginal minimal sera réduit à 10 et le taux marginal maximal à 38 pour cent.
Dans son dernier Bulletin, la Banque Centrale du Luxembourg formule une série de critiques à l'encontre du projet de réduction de la charge fiscale. Entendre des notes dissonantes sur des sujets aussi graves est nouveau dans le paysage politique luxembourgeois. La BCL, qui s'est constitué une expertise en matière économique, pourra certainement enrichir le débat de politique économique. Dans le cas présent, cependant, il me semble que ses critiques sont incongrues et ses analyses incorrectes.
Je veux bien concéder que l'évaluation de l'impact d'une réduction fiscale est très complexe, ceci d'autant plus que nous ne disposons pas encore des instruments suffisamment sophistiqués pour simuler le détail de l'évolution de toutes les grandeurs macro-économiques. Cependant, nous pouvons nous appuyer sur quelques éléments d'évaluation quantitative.
Selon le Centre de Recherche en Economie Appliquée du CRP Gabriel Lippman, l'effet de la baisse des impôts sur les prix à la consommation privée est marginal, voire négligeable. En effet, une simulation a montré qu'une augmentation du revenu salarial de cinq pour cent ajoute 0,02 point de pourcentage à l'inflation. Une inflation de trois pour cent passe donc à 3,02 pour cent au cours des trois années successives, grâce au choc de la baisse des impôts. Deux points de base comme disent les financiers ! On ne saurait donc parler d'une vilaine flambée inflationniste, aux effets délétères pour la compétitivité, comme l'affirme le Président de la Banque Centrale du Luxembourg.
Le Statec a fait tourner son modèle de prévision et trouve que la consommation privée va augmenter de 1,6 pour cent en volume en raison de l'impulsion donnée au pouvoir d'achat par la réforme fiscale. Une bonne nouvelle pour le commerce local.
Voilà pour le côté demande. Penchons-nous maintenant sur l'offre. L'afflux très massif de travailleurs frontaliers et migrants ainsi que des capitaux investis ont permis d'élargir la capacité de production de manière continue. Il n'y a donc pas eu de surchauffe, pas de goulots d'étranglement, de dérapage inflationniste. Depuis une quinzaine d'années déjà, le Luxembourg a réussi à faire mentir la fameuse loi de Phillips qui lie le chômage, la progression des salaires et donc l'inflation. La très grande ouverture, la forte concurrence sur le marché domestique, le haut niveau d'investissement public dans les infrastructures, bref, l'élasticité de l'offre nous ont permis d'accroître notre capacité de production.
C'est une des dimensions de la «nouvelle économie luxembourgeoise»: une croissance ininterrompue à un taux élevé et une inflation maîtrisée.
L'effet de l'allégement de la charge fiscale sur l'offre de travail est moins évident. D'une part, elle devrait inciter plus de personnes à offrir leurs services et, d'autre part, l'augmentation du salaire net devrait calmer les revendications salariales, ce qui devrait renforcer la compétitivité.
De manière générale, d'un point de vue macro-économique, la politique budgétaire a été plus que prudente au cours des années écoulées, elle a été restrictive. En effet, si l'on admet que l'économie est proche de l'optimum de son niveau de croissance potentiel, les surplus budgétaires répétés et croissants se traduisent par l'accumulation d'une épargne publique excessive. La réduction d'impôt s'interprète dès lors comme une normalisation de la politique budgétaire, une neutralisation des effets de la politique fiscale.
En conclusion, si l'on tient compte du fait que la croissance fléchira quelque peu l'année prochaine, il est difficile d'avancer que la réforme fiscale est pro-cyclique ou qu'elle néglige le côté offre de l'économie.