Pour une banque, ce sont sans doute des drôles de manières. En feuilletant le rapport annuel de la Société nationale de crédit et d'investissement (SNCI), on trouve de tout : le volume des prêts accordés, les participations prises, la situation économique du pays et de ses secteurs clefs. Pour le compte des pertes et profits par contre, il faut attendre l'annexe du bilan. La SNCI n'est pas seulement une banque publique, c'est aussi un établissement dont les bénéfices sont secondaires.
Que les sceptiques soient rassurés. La Société nationale a engrangé l'année dernière un bénéfice de 208 millions de francs. C'est certes moins que les 393 millions de 1998, mais on ne vend pas toutes les années un sixième de ses actions SES. Ces chiffres ne font sûrement pas de la SNCI la banque la plus profitable de la planète. Ce n'est pas pour autant négligeable pour un établissement de crédit doté à sa fondation, en 1978, d'un capital de 1,1 milliard de francs. La seule rallonge a été versée en 1991, quand le capital a été porté à cinq milliards de francs. Il est vrai que, grâce à la garantie de l'État luxembourgeois, la SNCI peut se refinancer à des taux avantageux sur les marchés des capitaux.
Le bilan de la SNCI sur ces vingt dernières années est largement positif. Des voix se lèvent pourtant pour en réclamer une réforme. Dans son accord de coalition, le gouvernement PCS/PDL retient que « la loi organique de la SNCI sera adaptée et son champ d'activité étendu afin de tenir compte de l'environnement économique nouveau des entreprises et du rôle renforcé du développement technologique dans la politique de compétitivité du gouvernement. Un accent particulier sera mis sur le rôle de la SNCI dans le développement de l'esprit d'entreprise et de l'accès au capital-risque. » Un projet sur lequel les membres du gouvernement concernés et leurs conseillers sont en train de plancher.
Son nom l'indique déjà, le rôle de la SNCI est double. La banque pub-lique est en premier lieu un établissement de crédit. Selon différentes formules - du crédit d'équipements pour PME en passant par les prêts à l'innovation et ceux à moyen et long terme jusqu'aux crédits à l'exportation - la SNCI offre aux entreprises un accès au capital à des taux plus avantageux que ne peuvent le faire les banques commerciales. Celles-ci ne s'en plaignent pas trop, puisqu'elles y trouvent leur compte en complétant l'offre de la SNCI, tout en réduisant leur exposition au risque grâce aux garanties accordées par l'établissement public.
Rares sont sans doute les entreprises au Luxembourg, PME artisanale ou filiale de multinationale, qui n'auraient eu recours d'une manière ou d'une autre aux services de la SNCI. Ce n'est pas un hasard qu'on retrouve dans le rapport annuel de la banque la liste des quelque 150 entreprises venues s'installer au Luxembourg depuis 1975 dans le cadre de la fameuse « politique de diversification économique ». En tout, elles représentent plus de 13 500 emplois nouveaux.
L'action de la SNCI depuis 1978 a valu son pesant d'or dans ce succès. Près de 71 milliards de francs ont été accordés sous forme de crédits à l'investissement, presque deux milliards en prêts à l'innovation et 44,5 milliards en tant que crédits à l'exportation. Ce volet des activités de la SNCI fait l'unanimité. Point de discussion sur une ingérence étatique dans un domaine supposé réservé au secteur privé ni sur un prétendu gaspillage des deniers publics.
L'autre volet de l'action de la SNCI sont ses prises de participations (3,2 milliards de francs depuis 1978) et l'octroi de prêts participatifs (2,7 milliards). Le cas d'école est bien sûr l'opération SES. Présent dans le capital de la société dès le début à hauteur de dix pour cent, l'établissement public détient toujours plus de huit pour cent et est ainsi, avec sa consoeur Spuerkees, le garant de l'ancrage luxembourgeois de la maison mère des satellites Astra. D'autres exemples sont le producteur de capteurs électroniques pour l'industrie automobile IEE (Findel et Echternach), Sisto Armaturen (Mersch), Luxcontrol et autres Cargolux. En principe, les participations de la SNCI doivent rester minoritaires. Et au plus tard depuis Europe Online, on sait qu'elles sont loin d'être des succès assurés. On a tendance à l'oublier, mais c'est aussi ça, le capital-risque.
La politique de participations de la SNCI est bien davantage controversée que celle d'octroi de crédits. Elle l'est d'abord dans le cadre plus général du rôle de l'État dans l'économie. Dans son récent Programme quinquennal, la Chambre de Commerce recommandait encore un « désengagement progressif » de l'État de ses participations. En 1993, le député libéral John Schummer avait de même introduit une proposition de loi à la Chambre en vue de créer un « fonds national d'investissement » reprenant la majeure partie des participations de la main publique, fonds dans lequel l'État ne détiendrait plus qu'une participation minoritaire.
Plus récemment, l'accent est mis sur un autre aspect de la politique de participations de la SNCI : son manque de dynamisme, surtout en ce qui concerne le capital-risque. Force est en effet de constater que la SNCI n'est pas le venture capitalist le plus actif qui soit. Elle préfère de loin se lier à un grand groupe industriel dans l'établissement d'une filiale au Grand-Duché que parier sur le succès d'une start-up dans un de ces fameux garages. Même si, au premier semestre 2000, elle s'est montrée plutôt active sur ce plan.
Surtout quand on parle de nouvelles technologies, il s'agit d'entreprises avec d'importants besoins en capitaux avant de pouvoir commercialiser leurs produits et services. Un plan d'affaires qui ne se conjugue guère avec les traditionnelles formes de crédits de la SNCI. La Chambre de commerce exige ainsi « un élargissement des instruments existants de la SNCI vers des prises de participations temporaires et réservées à des projets à risque élevé ».
Les interrogations dans le cadre de ces deux approches se rejoignent sur certains aspects. Avec l'augmentation du volume des participations de la SNCI se pose ainsi la question de l'ouverture de son capital à des investisseurs privés afin de renforcer ses fonds propres. Les activités de crédits de la SNCI ont jusqu'ici été financées par l'émission de bons d'épargne à capital croissant et d'emprunts obligataires. Avec une ouverture de son capital, la SNCI pourrait aussi prendre le rôle d'un investisseur institutionnel fort - et pensant « en luxembourgeois » - dont on a regretté si souvent l'absence ces derniers mois et années.
Un modèle pour l'ouverture d'une société d'investissement publique au capital privé peut être trouvé en Flandre avec la Gimv. Lancée il y a vingt ans avec un capital de 400 millions de francs, la société compte aujourd'hui parmi les fleurons de la Bourse de Bruxelles. Parmi ses succès compte notamment le développeur de logiciels de reconnaissance vocale Lernout [&] Hauspie.
Une privatisation partielle ne pas de pallier à un des principaux points de faiblesse de la SNCI. L'établissement public n'a qu'un savoir-faire très limité dans le monde des affaires. Loin d'être une banque complète - son action repose sur les intermédiaires que sont les banques commerciales - la SNCI se limite en fait à une petite dizaine de personnes. Son conseil d'administration, com-me ses commissions techniques, est composé selon le modèle de la tripartite. Néanmoins, les initiés de la la vie d'entreprise sont rares. Pas vraiment une perspective rassurante quand on veut quitter les voies prétracées des prêts et crédits.
Un parfait exemple est le cas de Cleveland Tramrail (Clervaux et Howald), aujourd'hui CTI Systems s.a. La SNCI a repris en 1993, grâce à une dérogation du gouvernement, la totalité du capital de l'entreprise menacée de fermeture par sa maison mère américaine. Les 190 em-plois ont certes été sauvés, mais de-puis, l'entreprise n'a connu qu'un seul exercice (de justesse) bénéficiaire. Il ne faut pas s'attendre à voir la SNCI trouver les remédes. Un exemple qui confirme le préjugé de beaucoup de monde, selon lequel l'État est un piètre gestionnaire.
Il existe d'autres modèles d'établissements publics qui ont fait de ce constat de faiblesse une force. C'est le cas de la Technologie-Beteiligungs-Gesellschaft (TBG), filiale de la Deutsche Ausgleichsbank, un genre de SNCI allemande. Afin d'éviter les pièges, d'un côté, d'un manque de savoir-faire dans le capital-risque et, de l'autre côté, de pouvoir soutenir les jeunes sociétés, certes de manière financière mais pas sur le plan du conseil d'entreprise, la TBG a retenu un principe simple : elle ne prend que des participations minoritaires et seulement si un venture capitalist privé est aussi prêt à investir. Ce dernier doit en outre s'engager à conseiller la start-up dans son développement.
C'est ce system qui a permis la naissance de sociétés comme Brokat (applications d'e-banking) ou encore Mobilcom. Une condition pour une telle démarche est bien sûr la présence de capitaux privés, domaine qui s'est fortement développé ces derniers temps au Grand-Duché.
Pour la SNCI, un mélange de ces deux modèles n'est bien sûr pas exclu. Comme on le rappelait lors des débats sur la proposition Schummer à la Chambre - sans pour autant y donner suite - la loi de 1976 portant création de la SNCI prévoit dans son article 14.3 la mise en place par la SNCI de fonds d'investissement ouverts au public.
Les participations de la SNCI dans des entreprises privées pose inévitablement une autre question : ce que le député socialiste Jeannot Krecké appelait en 1993 la « socialisation des pertes et la privatisation des bénéfices ».
La Chambre de Commerce aimerait ainsi voir la SNCI renoncer à des plus-values lors de la cession de ses participations. Ce qui mènerait tout droit à un inquiétant déséquilibre entre les risques pris par la banque et les bénéfices qu'elle en tire. Déjà aujourd'hui, l'établissement public se montre beaucoup plus discret sur les prix de vente de ses participations que sur les sommes qu'elle investit.