Suspecte, cette participation de l'État luxembourgeois dans la SES. Lors de la récente assemblée générale, certains actionnaires minoritaires de la Société européennes des satellites n'ont pas laissé de doutes sur leur irritation de voir les acteurs publics Spuerkees et SNCI jouer un rôle de premier rang dans l'entreprise. D'autant plus qu'ils bénéficient avec 16,6 pour cent du capital de 33,3 pour cent des droits de vote.
Au soir du 13 juin 1999, d'aucuns auraient pu croire que cette époque était révolue. Avec tous ces fervents admirateurs du libéralisme économique qui étaient destinés à composer le nouveau gouvernement, l'avenir des participations publiques était au moins, pendant un court laps de temps, devenu un sujet d'interrogation. Les raisons pourquoi ce débat n'a jamais eu lieu sont pourtant assez simples. D'un côté, en vendant les actions que l'État détend dans Cegedel, Luxair et autres P[&]T, le ministre de l'Économie se serait définitivement mis au niveau d'un secrétaire d'État adjoint sans portefeuille. De l'autre, faute d'acquéreur luxembourgeois potentiel, la main publique reste de fait le seul garant de l'ancrage luxembourgeois de nombre de sociétés du pays. Vendre la BCEE, la SNCI ou la participation dans l'Arbed revient en fin de compte à brader le dernier semblant d'influence luxembourgeoise sur l'économie du pays.
En ouvrant son portefeuille, l'État a su se garantir une présence dans un bon nombre de secteurs économiques stratégiques. Il y a bien sûr les entreprises d'État et anciennes administrations telles les P[&]T, les CFL et autres Spuerkees. Mais aussi des entreprises qui fonctionnent depuis leur création selon les règles du secteur privé.
Plutôt qu'une judicieuse stratégie politique visant à garantir un ancrage luxembourgeois dans l'ensemble des secteurs clés de l'économie, on peut distinguer deux grandes lignes qui expliquent la présence de l'État dans l'économie. La première est un rôle classique de la main publique en tant que promoteur de nouvelles infrastructures. L'État est présent dès la création de l'entreprise, est prêt à y prendre une certaine participation qui, si tout va bien, prend peu à peu une valeur de taille. C'était le cas, par exemple, avec Luxair ou Cargolux, SEO, SES, WSA et IEE. La participation dans Cegedel (42 pour cent), bien que fondée en 1928 exclusivement par des capitaux privés, suit la même logique puisque la participation de l'État est liée à des crédits accordés lors de la création. La montée dans le capital, en 1970 s'explique par un apport en nature d'installations de haute tension. Soit directement, soit à travers ses prolongations BCEE et SNCI, l'État a donc joué, sous la direction des gouvernements successifs, en gros le rôle de ce qu'on appelle aujourd'hui un venture capitalist.
La deuxième grande ligne d'action de l'État suit moins une stratégie que des réflexes de sapeur-pompier. C'est bien sûr le cas du plus bel exemple d'ancrage luxembourgeois, l'Arbed. Si l'État luxembourgeois a pu monter en 1986 à plus de 42 pour cent du capital du sidérurgiste, qui dispose pourtant d'un siège bien plus impressionnant que celui du Premier ministre, c'est avant tout « grâce » à la faillite virtuelle de l'Arbed. La participation dans l'entreprise était moins un objectif en soi qu'une conséquence d'une politique visant à éviter un massacre économique et social. Même si le gouvernement visait déjà à l'époque explicitement de maintenir le centre de décision du sidérurgiste au Grand-Duché. Les participations publiques dans Paul Wurth, CTI (anc. Cleveland Tramrail), Sisto (anc. Fonderie de Mersch) et, en partie IEE (anc. Interlink) résultent de même de situation de crises, bien que d'une autre envergure. Toutes ces aventures n'ont cependant pas connu de dénouement heureux jusqu'à ce jour. L'assureur La Luxembourgeoise, détenu à quarante pour cent par la BCEE, semble ainsi une des rares participations de l'État achetées à un prix réel.
Se cache-t-il donc derrière l'État luxembourgeois un venture capitalist pur sang ? On est en droit d'en douter. Au sens strict du terme, la SES est sans doute la seule aventure dans laquelle il s'agissait vraiment de capital-risque pur. Le meilleur exemple pour démontrer que le secteur publique ne saura, en fin de compte, jamais jouer un rôle d'investisseur de capital risque est toutefois Europe Online. Certes, la SES est un beau succès. La réalité du venture capital est toutefois que l'échec des entreprises soutenues n'est pas l'exception mais courante. C'est bien pourquoi on parle de risque. Or, les commentaires acides après la banqueroute de Europe Online en 1996 ont probablement définitivement mis un terme à la volonté des élus de soutenir ce genre de projets à travers les instituts de crédits publics. Entre-temps, on s'oriente d'ailleurs plutôt sur des idées moins ambitieuses et avec des budgets bien plus réduits.
Le principal échec du capitaliste État est toutefois de ne pas avoir su mettre en place les structures pour prendre la relève de ses initiatives. La loi « Rau » était certes supposée créer le cadre pour un marché privé de capital risque luxembourgeois de même qu'une base pour un ancrage luxembourgeois renforcé. Dans les faits, force est toutefois de constater que les Sicav « Rau » fonctionnent comme toutes les Sicav du monde, ne s'intéressant ni aux entreprises nouvelles ni à des sensibilités luxembourgeoises prononcées.
Faute d'une société d'investissement luxembourgeoise avec un actionnaire de référence public mais récoltant des fonds d'institutionnels privés de même que des particuliers - à l'image du très actif holding flamand Gimv créé dès 1980, par exemple - l'État s'est limité à ses propres moyens et contraintes. Ce sont paradoxalement les changements dans le capital des principales banques privées du Luxembourg qui ont donné naissance aux projets les plus intéressants. En 1988 avec Bil-Participations - devenu entre-temps sous la direction du Foyer la dynamique Luxempart - et prochainement avec BGL Investment Partners. D'autres investisseurs institutionnels font défaut. La Luxembourgeoise est très discrète sur ses participations, alors que les caisses de pension espèrent décrocher le gros lot en plaçant des milliards sur des comptes à vue.
Les moyens capitalistiques du Luxembourg sont dès lors limités. Des illustrations récentes ne manquent d'ailleurs pas avec la Bil, la BGL mais aussi la présence très réduite d'actionnaires luxembourgeois dans le prochain RTL Group. Les limites de l'État comme garant d'un ancrage luxembourgeois se montrent surtout dans les entreprises à succès. Si un gouvernement peut injecter du seed money dans un projet, la question est une toute autre quand il s'agit d'une augmentation de capital. Celles-ci résultent la plupart du temps dans une baisse de la participation publique.
Un débat s'est ainsi ouvert sur l'avenir de la participation publique dans l'Arbed. La croissance externe du sidérurgiste, par absorptions et fusions, est financée non pas du liquide mais pas l'émission de nouvelles actions. Dans le cadre de la reprise de 35 pour cent de l'espagnol Aceralia, la participation de l'État dans l'Arbed est ainsi passée de 35 pour cent à moins de trente pour cent. Chiffre qui baissera encore avec l'absorption de Sidmar. L'État devrait-il réagir ? C'est peut-être une belle idée. Or, le contribuable sera-t-il d'accord pour dé-bourser 384 millions de francs pour un pour cent de l'Arbed, 3,1 milliards pour un pour cent de la SES ou 3,4 milliards pour un pour cent d'Audiofina ? Rien n'est moins sûr.
La meilleure prédiction pour les participations de l'État est dès lors le statu quo : l'État n'est a priori ni vendeur ni acquéreur. Ce qui n'exclut pourtant pas que l'une ou l'autre entreprise qu'on lie aujourd'hui au secteur public ne pourra, dans le cadre de nécessités stratégiques, voir son actionnariat évoluer.