Mai Abu ElDahab, curatrice indépendante et originaire du Caire, était peut-être désabusée après l’échec de la Manifesta 6, en 2006, lorsqu’elle a écrit que cette biennale était comme un parasite qui atterrit sur un hôte. En effet, cette année-là, les autorités grecques de la ville divisée de Nicosia avaient poursuivi en justice les curateurs et le bureau d’organisation de la biennale européenne d’art contemporain, ce qui n’avait pas seulement provoqué l’annulation de l’évènement, mais remettait en question le principe même de cet évènement artistique itinérant, dont la deuxième édition avait eu lieu au Luxembourg en 1998.
Ce que Mai Abu ElDahab voulait expliquer avec sa métaphore biologique, était le principe d’une biennale qui a lieu à chaque fois dans un lieu différent, et parfois dans des villes qui ne sont pas exactement des hot spots de l’art actuel. L’idée de vouloir rapprocher les deux parties d’une ville divisée depuis 1974 par le biais de l’art contemporain était sympathique, mais peut-être trop naïve. Par contre le principe de la décentralisation culturelle reste un motif central de cette organisation majoritairement financée par le programme Éducation et culture de l’Union européenne, et dont les bureaux permanents sont à Amsterdam. En conséquence, pour cette neuvième édition, le conseil d’administration de la fondation Manifesta a choisi la candidature de la Ville de Genk, située dans la province du Limbourg en Belgique
La grande différence par rapport aux éditions précédents, qui utilisaient toutes la dispersion des lieux d’exposition sur un territoire urbain, est que cette fois tout se tient dans un seul bâtiment, l’ancienne mine à charbon de Waterschei, qui avait cessé son activité en 1987. En 1901, le géologue André Dumont découvre le premier gisement de charbon en Limbourg et en 1924 la mine de Waterschei fut le quatrième des sept charbonnages ouverts par la suite. C’est le curateur mexicain Cuauhtémoc Medina (*1965) qui a été chargé de construire le concept d’une exposition qui occupe, parfois modestement, les quelque 23 000 mètres carrés d’un bâtiment de style art deco, qui, à son apogée industrielle, vers les années quarante, abritait non seulement la mine (partie peinte en vert) mais aussi l’administration de celle-ci (partie jaune).
Avec l’assistance des curatrices Dawn Andes (*1943) et Katerina Gregos (*1967), l’ancien co-curateur des collections de l’Amérique du Sud à la Tate Modern, tente de créer un « dialogue complexe entre les différentes couches de l’art et de l’histoire ». À l’opposé des 188 projets pour la Documenta 13, la Manifesta 9 propose une liste de 39 artistes contemporains auxquels s’associent toute une série d’œuvres plus anciennes. L’actualité artistique est ainsi dispersée à travers les étages et les salles de la mine, et se retrouve souvent en concurrence avec la Ruinenromantik soigneusement conservée lors de la remise en état du bâtiment. Car Waterschei, comme l’exposition qu’elle abrite, n’est finalement qu’un artefact d’une vision très particulière du passé de Genk et de son industrie. Et cette perspective se révèle dans un environnement dont l’aspect spectaculaire est à l’opposé de l’environnement stérile du white cube moderne. Cuauhtémoc Medina a justement axé son argument sur cette réutilisation et réinterprétation de la ruine comme élément moteur d’une création actuelle.
Rossella Biscotti (*1978 à Molfetta/Italie), la seule artiste présente à Genk participant également à la Documenta 13, a peut-être le mieux saisi ces interférences entre histoire récente et formalisme de l’art des années 1970. Pour ses installations, elle a récupéré des déchets (plaques en plomb et câbles électriques) de la centrale atomique d’Ignalia en Lituanie et les a recomposés en pastiches de dallages géométriques Carl André ou d’amas de branches de Guiseppe Penone.
À côté de ces Poetics of Restructuring, un deuxième volet, plus restreint, est constitué cette fois d’une chambre froide ultra-climatisée, qui abrite le volet historique intitulé The Age of Coal et qui rassemble des œuvres anciennes qui retracent du XVIIIe au XXe siècle une influence esthétique de la thématique du charbon sur la production artistique. On y trouve aussi bien des gravures de l’illustrateur John Martin (1789-1854) que la photographie sérielle des époux Becher, mais on y aperçoit essentiellement une collection étrange d’images qui n’est pas sans rappeler une recherche sur Google dont le mot-clé serait « charbon ».
Le troisième et dernier volet, effectue le repli sur le local, stratégie essentielle pour obtenir l’attribution d’une Manifesta. Et là, le parcours nous ramène vers le cul-de-sac de la production autochtone qui se perd dans un art brut trop désuet pour véritablement interroger le visiteur. Les broderies avec dictons qui sont représentatives de cette démarche curatoriale sont censées mener d’une tradition vernaculaire vers une mémoire collective actuelle. Tout ça pour en arriver au kitsch des années cinquante avec la reprise du succès Marina de l’accordéoniste Rocco Granata, qui fut jadis mineur à Genk.
Les curateurs affirment vouloir politiser leur Manifesta en évitant les écueils de l’art politique tout autant qu’ils refusent de déléguer le politique à des collectifs d’artistes qui travailleraient in situ, comme c’est partiellement le cas pour la Documenta 13. Leur volonté serait plutôt d’induire une transformation du sens commun à travers une juxtaposition de l’art actuel et de ses possibles référents historiques. Mais en fait, il ne s’agit là que d’une simple prise en otage d’œuvres anciennes pour illustrer un concept dont la complexité est à remettre en question face à la réalité d’une exposition et de ses objets.
La Manifesta 9 laisse une impression étrange, entre fascination pour le lieu d’exposition et déception face au choix des curateurs. Cette exposition semble avoir le besoin de reconstruire et d’expliquer ce qu’une simple visite de la ruine industrielle adjacente (non-restaurée) aurait pour faire ressentir bien plus directement.
Florence Thurmes
Kategorien: Zeitgenössische Kunst
Ausgabe: 06.07.2012