On la joue modeste, indiquant qu’il s’agit (seulement) d’un des plus grands centres d’art contemporain en Europe. Vingt-deux mille mètres carrés quand même. Pour donner une idée, cela fait sept fois la surface d’exposition du Mudam. Et pour poursuivre et finir la comparaison, cette fois-ci, contenant et contenu sont en parfaite adéquation. Et pourtant, le Palais de Tokyo, dans le passé, se voulait aussi objet de prestige ; il en reste l’extérieur, avenue du Président Wilson à Paris, les deux ailes dont l’une, à gauche, l’aile Est, est toujours occupée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Le bâtiment qui donne de l’autre côté sur l’avenue de New-York et la Seine, date des années 1930, qu’on sait propices à une architecture monumentale (et le choix du projet se fit aux dépens d’architectes comme Le Corbusier et Mallet-Stevens), d’autant plus la bienvenue pour l’Exposition internationale de 1937. Inauguration du Musée national d’art moderne, en août 1942, par le ministre Bonnard ; le même, on le voit sur d’autres photos, dans l’aile Est, avec des officiers allemands. Puisqu’il sera question des sous-sols, pendant les années de la guerre, ils ont été utilisés pour entreposer des biens juifs placés sous séquestre.
Un nouveau départ dans cette aile Ouest est pris en juin 1947, et pendant une trentaine d’années, jusqu’à l’inauguration, en 1977, du Centre Georges-Pompidou, avec des conservateurs comme Cassou, Dorival, Leymarie ou Bozo, c’était toujours le lieu du Musée national d’art moderne (qui va donc déménager à Beaubourg). Et depuis, les destinations ont beaucoup varié, photographie, cinéma, les deux réunis dans l’ambition d’un Palais des arts de l’image, les travaux n’ont pas été moins disparates, du moins jusqu’en 2000, où le site est donné à la création contemporaine, avec une première intervention des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (ils se feront un nom définitivement à Kassel, en 2007, avec leur pavillon des Karlsauen).
Les mêmes Lacaton et Vassal, pendant les deux dernières années, se sont attachés dans une deuxième phase à la réhabilitation de l’intégralité des espaces du Palais de Tokyo, des sous-sols aux combles, et même si la question d’argent a pu jouer, avec eux il était d’emblée certain qu’on n’aboutirait pas à quelque chose de léché, ni de spectaculaire. Non, leur credo, pourrait-on dire, est la véridicité architecturale, en l’occurrence, ils ont remis à nu les volumes du bâtiment, lui ont rendu son ampleur, quitte à lui laisser l’apparence d’une belle carcasse. Avec notamment des murs sans crépi où pendent toujours les fils, mais le rythme est là, des poteaux fins de béton.
D’un étage à l’autre, sauf à s’enfoncer dans le labyrinthe qui a allure piranésienne, il s’offre des points de vue inattendus, des ouvertures qui donnent raison aux architectes pour leur référence à des places publiques. Nommément la place Jamaâ el-Fna de Marrakech, ou l’Alexanderplatz, « des espaces qui ne sont pas déterminés par de l’architecture, et qui marquent par leur capacité d’usage ».
Voilà l’autre qualité de cette réhabilitation, le potentiel qu’en a tiré le site. Et qui est mis à bonne (et positive) épreuve avec la troisième édition de la Triennale d’art contemporain. Le visiteur passe un grillage où il faut y regarder à deux fois pour voir les rayures blanches de Buren ; c’est qu’il entre, c’est vrai, sur un chantier, d’architecture et d’art, expérimentaux.