Depuis le début du XXe siècle, l’art abstrait a subi une évolution considérable. Alors que des pionniers comme Kazimir Malevitch, Piet Mondrian et Vassily Kandinsky pratiquaient surtout la peinture abstraite, les nouveaux médias, techniques et formes artistiques ont permis aux artistes de se libérer du strict « carré noir sur fond blanc » et d’aborder l’abstraction sous un point de vue diversifié. La nouvelle présentation de la collection du Mudam permet de suivre l’évolution de l’abstraction au cours des 40 dernières années et de retracer de quelles façons les artistes abordent le non-figuratif aujourd’hui. L’exposition Les détours de l’abstraction, qui occupe le premier étage du musée, est également une bonne occasion de reconsidérer l’ampleur de la collection du Mudam et de se demander si elle est effectivement à la hauteur de la tâche.
Le tableau au coton teinté de Blinky Palermo est l’œuvre la plus ancienne de l’exposition (Sans titre de 1968) et affiche la tendance minimaliste des années 1960, caractérisée par une réduction des couleurs et l’économie des formes. Tout comme les deux rectangles monochromes d’Imi Knoebel (Weiße Konstellation de 1975 à 1996), l’œuvre de Palermo fait référence au suprématisme de Malevitch, qui se servait notamment des formes géométriques et limitait les couleurs au blanc, au noir et aux couleurs primaires. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les deux artistes ont partagé un atelier à la Kunstakademie de Düsseldorf et qu’ils furent tous les deux élèves de Joseph Beuys.
Les artistes américains se font plus rares dans l’exposition Les détours de l’abstraction. L’un d’entre eux est l’artiste conceptuel On Kawara, d’origine japonaise et vivant à New York. L’enregistrement sonore One million years (past and future) (1970-2001) fait partie de ses œuvres les plus célèbres. Audibles à deux endroits différents du musée, deux voies récitent une liste de dates du passé et du futur. Une autre œuvre intéressante de la collection est le Floor Drawing (1970) de Robert Breer, un artiste et créateur de courts-métrages d’animation qui développe à partir des années 1965 une série de sculptures mobiles aux formes simples. Floor Drawing se compose de quatre sculptures posées au sol et dont le mouvement est presque imperceptible.
D’autres artistes exposés sont plus jeunes, voire moins connus. On peut mentionner le Mur de sable (2008) de Dominique Ghesquière, les sculptures en bois de Miguel Ângelo Rocha ou la vidéo de Raphaël Zarka (Gibellina Vecchio de 2010) qui montre un village en ruines. L’artiste portugais Rocha travaille avec des objets récupérés et les combine avec des formes abstraites. Pour son œuvre Against the Wall. Towards the Rear (2007-2008), il a ainsi fixé un tabouret à une forme en bois qui s’élève vers le plafond.
Dans une exposition consacrée à l’abstraction, la présence de Thomas Schütte est cependant discutable. Bien que le travail Rosa Kacheln (Pink Tiles) de 1977-1980 puisse paraître abstrait, l’œuvre de Schütte, qui se caractérise par des sculptures, des modèles d’architecture et des dessins de nus, de fleurs ou de portraits, est plutôt de l’ordre du figuratif. Des artistes comme Tony Cragg ou Richard Deacon, dont des œuvres figurent également dans la collection du Mudam, auraient certainement mieux cadré avec le thème de l’exposition.
Tout comme Schütte, l’artiste français Bruno Peinado ne peut être limité à l’abstraction, comme l’exposition en 2010 au Casino Luxembourg l’a montré. Reprenant des objets du quotidien ou des images des mass-médias, Peinado les transpose dans un autre contexte. Son immense sculpture Good Stuff, the Pleasure Principle (2010) tire son origine d’un jeu de cartes que l’artiste a agrandi et simplifié. Les plaques en aluminium monochrome peuvent cependant aussi être interprétées comme une référence à des artistes minimalistes comme John McCracken.
Une des œuvres les plus intéressantes de l’exposition est le parcours labyrinthique de Laurent Pariente. L’œuvre Sans titre, Mudam, Luxem[-]bourg (2008) de Pariente fut créée pour le Grand Hall du Mudam et constitue une sorte de labyrinthe en parois de couleurs transparentes. Associant l’idée de mouvement et d’architecture, cette installation fonctionne à la fois comme décomposition des lieux et comme déclencheur d’émotions.
Finalement, une des salles est entièrement occupée par le Wall Drawing (2006) de Marc Couturier. Réalisé à la pointe d’argent, le dessin filigrane est presque imperceptible de loin et ne se révèle qu’en s’approchant. Ainsi, la salle paraissant vide de loin est presqu’entièrement tapissée par le dessin de Couturier et se veut (volontiers ?) être un clin d’œil à la nouvelle exposition du Centre Pompidou Metz consacrée aux dessins muraux de Sol LeWitt, l’un des protagonistes du minimalisme.
On peut se poser la question si la diversification des artistes exposés sans fil rouge manifeste correspond à la tendance disparate de l’art abstrait contemporain. La collection actuelle du Mudam ne peut certes pas avoir la prétention de donner une image représentative de l’évolution de l’art abstrait et de ses protagonistes actuels, mais il s’agit quand même, comme le titre de l’exposition le suggère, d’un détour intéressant dans le monde du non-figuratif. Si les idées liées à l’abstraction et les positions radicales du début du XXe siècle ont changé, le non-figuratif est également devenu un piège facile, par lequel certains artistes et curateurs se laissent tenter trop rapidement.