Le Plan national pour un développement durable publié par le gouvernement en juin dernier, relève, parmi les tendances non-durables, la sur-consommation de terre et de biens matériels, la croissance du transport, la surexploitation des ressources naturelles, l’amplification du changement climatique, le déficit en cohérence entre les diverses politiques, … Il préconise comme remèdes de consommer de manière « durable », de réduire la consommation foncière et l’extension du périmètre de construction, de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et le transport individuel, de protéger les ressources naturelles, d’assainir les finances et de rendre les politiques cohérentes entre elles. Voilà pour la théorie, la langue de bois ? Puis vient le projet Livange …
Lundi 18 juillet, la commune de Roeser a invité ses citoyens, riverains et toute personne intéressée à une réunion d’information au sujet du Masterplan pour le projet de construction d’un stade international de foot et d’un shopping outlet (d’Land, 22.7.11).
Le projet fut présenté avec le gigantisme qu’on lui connaît : un stade de 30 000 m2 pour 10 000 spectateurs, 76 000 m2 de surface commerciale, autoroute élargie à six bandes, tunnel de lancement sous la bande d’accès à l’aire de Berchem, extension du transport public par une nouvelle ligne de train et nouvelle gare à Livange, une superficie de 16 ha bâtis, 4 500 emplacements de parking, mise en réseau des park[&]rides avoisinants, …
Pour les promoteurs exaltés, il s’agit de marquer le coup, d’ériger un landmark, de créer un symbole, … On notera au passage le langage constitué principalement de verbes conjugués au futur simple plutôt qu’au conditionnel.
La présentation fut longue et technique, sans convaincre. Les critiques et craintes portaient sur la taille du projet, sur l’intensification du trafic et le fait que la sortie d’autoroute sera soumise à un feu rouge, sur la détérioration du bien-être des riverains et de la qualité de l’air, sur la destruction du tissu commercial existant ou sur l’exploitation des espaces verts, … Le doute planait sur la rentabilité financière et économique du projet, et sur la hauteur de la mise à contribution involontaire des contribuables pour son financement.
Les explications visaient à faire croire que le projet Livange « est bon pour nous », comme les publicitaires qui veulent faire croire que rouler en voiture « est bon pour l’environnement ». D’ailleurs n’était-ce pas le ministre du Développement durable qui l’a qualifié – pour nous – d’intérêt général ?
Ainsi, dans le cadre de l’extension de l’autoroute sur six bandes (projet indépendant du stade), il avait été prévu que les nouvelles bretelles de sortie de l’autoroute agrandie se rapprocheraient des habitations. Avec le projet Livange, cette contrainte serait levée. L’accès au stade a été planifié de sorte que les bretelles s’éloigneraient des habitations. Les riverains auraient donc le choix entre une nouvelle brettelle moyennement fréquentée proche de leurs propriétés (autoroute à six bandes) et une bretelle plus éloignée mais très fréquentée, y compris la nuit, à une cadence d’un match international toutes les deux semaines (autoroute à six bandes + stade + outlet). Point de vue nuisances sonores, pas de problème non plus avec le stade, un mur anti-bruit sera érigé. Même s’il sera haut, pourra-t-il absorber le bruit émanant du stade haut de 35 m ou celui des fans en quête de distraction post-match ?
Idem pour la zone inondable, qui n’en serait plus une, à en croire les promoteurs. Le stade arrangerait cette précédente erreur humaine de drainage de la Biebeschbaach en lui donnant à nouveau une aire d’expansion, au pied du stade, le long de sa route d’accès – l’occasion pour se débarrasser vite fait de ces canettes de bière à l’entrée/sortie de l’événement sportif ? Ce re-engineering de la rivière sur quelques centaines de mètres est appelé renaturation. La couverture végétale prévue sur les toits des bâtiments fait office de touche environnementale. Et le tour du green washing du futur temple de consommation et d’amusement est joué.
On l’aura compris, le gouvernement et les promoteurs passent par tous les sacrifices pour ce projet car il est « bon pour nous ». Chaque résident sera libre de choisir sa source de nuisances : bruit des deux lignes de trains, de l’autoroute agrandie, des matchs, des hooligans, des bus et voitures, ciel éclairé la nuit par les spots, … Chaque résident, actuellement déjà parmi les mieux lotis au monde en mètres carrés de surface commerciale par tête, aura la liberté de l’augmenter davantage. Chaque résident sera libre de pousser son caddie de Belval Plaza au Ban de Gasperich, de la place de l’étoile au Centre Hamilius, de Livange à Wickrange, … Car le gouvernement est convaincu que ces surfaces commerciales additionnelles dans un rayon de 15 km ne sont pas incompatibles. L’abandon de l’impôt de crise ayant sonné la fin de la crise économique et financière au Luxembourg, il en garantit même le succès commercial. Chaque résident est ainsi libre de croire et participer au mythe de la croissance et du pouvoir d’achat illimités dans un monde aux ressources limitées.
On ne peut se défendre contre l’impression que les décideurs confondent citoyens et oies à gaver.
Les promoteurs n’ont pas rougi non plus lors de la présentation de la « notice d’impact environnemental » (une véritable étude d’impact environnementale suivrait) : on pouvait y lire que le projet n’aura pas d’impact négatif sur le climat. L’aug[-]mentation des trafics nationaux, régionaux et internationaux, et par ricochet des émissions de CO2 des voitures et bus, le gel de pâtures et de terre et la condamnation de leur capacité de stockage de CO2 seraient neutres pour le climat ? La consommation massive de ressources, matériaux et énergie pour la construction et le fonctionnement des infrastructures, ainsi que celle des biens et services discount dans les futurs malls, avec leurs corollaires de déchets, seraient neutres pour le climat ? Ou est-ce que la certification « durable » ou « basse énergie » proposée pour la future construction neutraliserait toutes ces émissions additionnelles ? Y-a-t il plus faible en énergie et carbone que de ne pas construire, sauf besoin vital ? S’il n’y a pas de shopping center, il n’y a pas besoin de fancy label …
Interpellé, le ministre des Sports et de l’Agriculture ne voyait pas non plus de contradiction entre protection du climat, production alimentaire et Stade. Le Luxembourg n’aurait pas besoin de cette réserve de 16,7 ha de pâtures pour l’élevage et la production de lait, viande ou céréales ? Selon le Plan national pour un développement durable, « le Luxembourg a besoin actuellement du double de sa superficie agricole utilisée pour alimenter sa population ». Toujours est-il qu’avec son empreinte écologique de 25 tonnes de CO2éq ou 11,82 ha par habitant, la plus grande empreinte du monde mesurée à ce jour, le pays n’aurait pas de pénurie en terre nourricière et séquestratrice de carbone, mais bel et bien en surfaces commerciale et de jeux ?
Bilan des courses : un public lucide, responsable et averti, des défenseurs rétrogrades. Mais un public quand même qui risque de devoir subir la folie des grandeurs d’une minorité qui se dit représentative.
S’il sera construit, les promoteurs et le gouvernement auront raison, ce sera un symbole, mais de quoi, de notre boulimie, de notre démesure, de notre manque d’humilité ? Il n’est pas encore trop tard pour l’abandonner, ce qui en ferait un symbole du bon sens, de la commune mesure, de la cohérence des politiques, d’un changement de paradigme vers une véritable durabilité.
Les communes de Roeser, Bettem[-]bourg et Frisange et le Sicona-Ouest, avec l’appui du ministère du Développement durable, avaient organisé, samedi dernier, une excursion « Sur les traces du chat sauvage (Felis sylvestris)»...