La CLC cherche à se repositionner dans le paysage patronal et doit faire face à la grogne des petits commerçants qui voient surtout en elle un instrument au service de la grande distribution

Un loup dans la bergerie de la CLC ?

d'Lëtzebuerger Land vom 16.06.2011

Le suspense durera jusqu’au bout, comme en 2008 : l’élection à la présidence de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC) doit départager deux candidats qui s’étaient déjà affrontés, il y a trois ans. Gary Kneip, l’outsider et Michel Rodenbourg, le président sortant, se présentent à la tête de l’organisation patronale qui compte 58 fédérations partagées entre les commerçants petits et grands (70 pour cent des membres), les transports et les services, le tout pesant 22 pour cent du PIB luxembourgeois.

L’assemblée générale de la CLC interviendra ce lundi 20 juin : dans une première étape, le conseil d’administration sera renouvelé pour trois ans. 28 candidats se présentent pour 20 postes. Dans une étape ultérieure, les nouveaux administrateurs choisiront entre Gary Kneip, issu du secteur des services et Michel Rodenbourg, venant lui de la branche du commerce (il est directeur général d’Alltec Solution, gérant du distributeur Acier et patron avec son épouse d’une épicerie fine au centre ville et sur le plan politique, candidat sur la liste DP aux élections communales de la Ville de Luxembourg). Traditionnellement et en raison de sa supériorité en nombre, la présidence revient à un représentant du commerce, mais la dernière élection de 2008 a failli faire mentir la tradition. Il avait fallu plusieurs tours de piste pour le départager du second candidat en lice, son élection s’étant jouée au final sur un fil, avec une seule voix d’avance. En guise de lot de consolation, Gary Kneip a obtenu un poste de vice-président de la CLC, ce qui a eu pour conséquence de faire monter à quatre le nombre de vice-présidents de l’organisation patronale dont les statuts n’en prévoient que trois.

Autant dire alors que le mandat de Michel Rodenbourg ne fut pas aisé, le scrutin serré ne lui ayant pas laissé les coudées franches. « Sur mes quatre vice-présidents, aucun n’avait voté pour moi », admet-il dans un entretien au Land. Il y a d’ailleurs peu de chance que son nom rallie cette année leurs suffrages. Le président sortant, qui fut aussi il y a trois ans le président de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg, croit toutefois à ses chances en comptant toujours sur le soutien de certaines fédérations ainsi que des petits commerçants qui l’avaient hissé à la tête de la CLC. Cette fois, leur soutien risque de lui faire défaut. D’abord parce l’Union commerciale a changé de main. Elle est aujourd’hui présidée par Corinne Cahen (actuellement administratice de la CLC et candidate à un renouvellement de son mandat), laquelle n’a pas toujours apprécié la ligne de conduite de la confédération ni la manière peu cavalière dont l’organisation a géré la question des heures d’ouverture des commerces les samedis, donnant ainsi l’impression de servir davantage les intérêts de la grande distribution que ceux du commerce de proximité. L’Union commerciale de la Ville d’Esch-sur- Alzette, qui est aussi un des principaux viviers de voix, semble avoir choisi elle aussi son camp, sa présidente Anna Felgen ayant été pressentie pour rejoindre l’équipe Kneip, au cas où le choix se porterait sur lui plutôt que sur Rodenbourg.

Même si le bureau exécutif n’a pas été au diaposon tout au long de son mandat, Michel Rodenbourg juge son bilan plutôt positif tout en considérant que le temps lui a manqué pour mener son « programme » jusqu’au bout (ses détracteurs assurent qu’il n’en avait aucun lorsqu’il est arrivé à la CLC en 2008) et que la crise économique en a assombri le palmarès. La Confédération du commerce est parvenue à étoffer ses rangs en accueillant quatre fédérations (distribution automobile, dépanneurs, laboratoires privés et le syndicat des pharmaciens), dans un environnement plutôt concurrenciel sur le front des organisations patronales qui cherchent toutes et par tous les moyens à regarnir leurs rangs. En quête de membres et de budget, vu la désindustrialisation rampante de l’économie luxembourgeoise, la Fédération des industriels, par exemple, drague désormais le secteur des services, terrain de chasse de la CLC. Michel Rodenbourg caresse l’ambition de réunir dans une même organisation la Fédération des artisans, la CLC et la Fédil, mais avant que cette idée puise un jour se concrétiser, de nombreux préalables sont nécessaires, notamment une fusion de la Chambre de commerce avec la Chambre des métiers et une convergence des statuts (très différents) de la CLC et de la Fedil. L’idée fait néanmoins du chemin et ne trotte d’ailleurs pas seulement dans la tête de Michel Rodenbourg, qui en est son plus médiatique promoteur.

Le second candidat en lice, Gary Kneip a aussi cette idée dans le viseur, mais reconnaît que la route de la convergence sera aussi longue et laborieuse que les enjeux économiques et surtout politiques sont sensibles. La présidence d’une organisation patronale ouvre, outre le carnet d’adresse, la porte dans le saint des saints : la tripartite ou la bipartite donne en effet un accès direct au gouvernement sur des sujets aussi importants que l’indexation et les charges sociales. Ça rend donc le job bénévole davantage attrayant et les enjeux d’autant plus passionnants que le mandat à la CLC va coïncider avec le scrutin législatif de 2014.

Patron de la firme Secure IT Luxem­bourg, spécialisée en sécurité de l’information, Gary Kneip veut incarner le renouveau de la CLC et l’une des faces (trop) discrètes de l’organisation patronale. Le nom même de la confédération laisse d’ailleurs penser qu’elle défend les intérêts du commerce, alors que deux autres secteurs d’activité « émergeants » y sont représentés, les transports et les services, et devraient gagner en importance dans la création de richesse au grand-duché. C’est en tout cas l’objectif du gouvernement de booster le développement des activités liées à la logistique et faire du Luxembourg une plateforme d’excellence des technologies de l’information (ICT).

La candidature de Gary Kneip fait un peu peur et suscite les plus folles rumeurs au sein même de l’organisation. On lui prête par exemple l’intention de vouloir faire passer à la CLC, qui y a toujours été hostile et le restera sans doute, le projet gigantesque de centre commercial à Livange développé par l’entrepreneur Flavio Becca : « C’est un terrain très glissant, mais il est vrai que Gary Kneip est lié à la nébuleuse de Monsieur Becca », indique une source proche de la CLC. La firme Secure IT Luxembourg est contrôlée par la société de participations Genii dans laquelle on retrouve Eric Lux et Gérard Lopez. Flavio Becca, proche en affaires de ces deux hommes qui se sont offert l’écurie de Formule 1 Renault, ne serait pas dans le coup et, de plus, Genii est en train de se débarrasser de ses participations directes. Gary Kneip devrait ainsi en racheter les parts.

Si le candidat à la présidence de la CLC fait peur, c’est davantage pour les changements qu’il promet dans la gouvernance de l’organisation et son rythme de travail, « ce qui aurait dû être fait il y a trois ans déjà », estime l’intéressé. Son idée est d’installer un comité de direction au lieu de la structure actuelle qui se compose d’un directeur et d’un sous-directeur et d’instiller un style plus collégial dans l’organisation patronale, « ce qui lui fait actuellement défaut », ajoute-t-il. La révision de la structure d’encadrement passerait par la mise en place de responsables pour chacun des trois secteurs, gérant une petite équipe de conseillers.

La CLC a fait l’objet de vives critiques de la part notamment des petits commerçants qui lui reprochent de trop faire le jeu des enseignes de la grande distribution et de les mettre devant le fait accompli. La fronde avait éclaté, il y a un an, lors de l’introduction par la ministre des Classes moyennes, à titre provisoire, des heures tardives d’ouverture les samedis et les veilles de jours féries (d’Land du 10 juin). Les artisans aussi (les patrons-boulangers ou bouchers par exemple ont souvent une double affiliation à la Fédération des artisans et à la CLC) se sentent peu impliqués dans l’action de la Confédération.

Le conseil d’administration se réunirait trop peu, de l’avis du candidat en lice, qui s’il est élu, propose un rythme de concertation de quatre réunions annuelles au minimum, six fois par an étant selon lui la bonne approche de fonctionnement pour éviter que les conseil d’administrations se cantonnent à jouer les bureaux enregistreurs des décisions prises au préalable par le bureau exécutif (le président et les trois ou quatre vice-présidents). « Le conseil d’administration, assure Gary Kneip, doit redevenir un organe de décision et s’impliquer davantage dans la vie et la définition de la stratégie de l’organisation ». L’introduction d’une charte de gouvernance compléterait la réforme : « Ça évitera aux administrateurs de voter par inspiration et non pas, comme ils le devraient, par intérêt économique », ajoute le candidat.

Il propose ainsi de mettre en place trois groupes de travail en fonction des trois secteurs représentés dans la CLC : commerce, transport et services. Son autre grande idée est de repositionner l’action de Luxembourg, Pôle de commerce de la Grande Région (sorte d’agence de promotion du commerce, partiellement financé par l’État − qui y met de moins en moins d’argent − et surtout par le secteur privé, dont la CLC, principal contributeur) dans un contexte plus large à l’instar des initiatives qui sont menées par les agences Luxembourg for Business ou Luxembourg for Finance. Pourquoi pas une troisième agence Luxembourg for Commerce, émancipée de la tutelle de la CLC et qui parlerait d’une seule voix à l’étranger pour le commerce, la logistique et les ICT ?, s’interroge Gary Kneip.

Son équipe (qu’il juge « très forte et soudée ») est déjà au complet, s’il devait être élu à l’issue de l’assemblée générale du 20 juin. Elle comprend Anna Felgen, présidente de l’Union des commerçants d’Esch, Laurent Schonckert, le patron du groupe Cactus, Marianne Welter qui représentera la branche des transports et Robert Goeres qui fédérera les intérêts divers. Reste à attendre le verdict des membres et savoir s’il tiendra ses promesses. « Si je ne suis pas élu, explique pour sa part Michel Rodenbourg, je saurai en tirer le parti qu’il faudra ».

Véronique Poujol
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