« L’automne sera chaud ! » a prédit le député CSV Gilles Roth à la Chambre des députés la semaine dernière, s’appropriant la prophétie perpétuelle de chefs de syndicats. Sauf que cette fois-ci, il s’agissait de justice. Le 10 octobre commencera l’affaire retentissante du crash de l’avion Luxair il y a neuf ans, et le Parquet s’attend à une médiatisation internationale du procès. C’est la raison pour laquelle les députés ont dû se dépêcher pour voter deux points séparés du projet de loi sur les attachés de justice, que le ministre n’a déposé au parlement que le 5 juillet dernier. C’est dire si les parlementaires arrivent à travailler de façon pragmatique. Le Conseil d’État, pour sa part, a tiré plus vite que son ombre en soumettant son avis le même jour du dépôt du projet de loi à la Chambre.
Donc, pour éviter toute suspension du procès – fixé à six semaines – au cas où un juge tombait malade, il est prévu que dès le départ, un juge supplémentaire assiste aux audiences pour intervenir en cas d’absence d’un de ses confrères. Maintenant, les députés se pencheront sur les autres points du projet de loi qui a surtout pour objet de réformer le recrutement et le stage des futurs magistrats. En introduisant le système des compétences cher à la ministre de l’Éducation nationale. Donc, les magistrats ne seront plus uniquement sélectionnés sur base de leurs résultats à l’examen-concours, mais ils devront en plus montrer qu’ils sont physiquement et psychologiquement aptes à pouvoir porter la robe de magistrat.
Le projet de règlement grand-ducal sur le recrutement et le stage des attachés de justice prévoit notamment le passage par le cabinet d’un médecin de l’administration des services médicaux du secteur public et des examens psychologiques pendant le stage : questionnaires à remplir, entretiens avec le psychologue, auto-description et épreuves de mise en situation font ainsi partie des tests pour évaluer la personnalité des candidats. « Le psychologue établit pour chaque candidat un avis motivé qui précise notamment les qualités et les défauts en relation avec l’exercice de la fonction de magistrat, » est-il précisé dans le texte. Le psychologue participera avec voix consultative aux délibérations.
Selon l’exposé des motifs, « l’objectif de la nouvelle réglementation est double, d’une part, il s’agit de garantir la sécurité juridique et la transparence. D’autre part, l’indépendance de la justice sera renforcée dans la mesure où le recrutement et le stage des attachés de justice seront gérés par une commission spéciale composée exclusivement de représentants de la magistrature et de l’administration judiciaire. »
Le lendemain du dépôt du projet de loi, le ministre de la Justice s’est rendu à une réunion de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle pour lui présenter ses vues sur le Conseil national de la justice (CNJ), qui s’occupera du fonctionnement de la justice et donc aussi de l’organisation et de la surveillance du recrutement des attachés de justice. C’est une première étape de la réforme globale de l’organisation judiciaire qui prévoit aussi la création d’une Cour suprême – des adaptations qui nécessitent d’ailleurs un changement de la Constitution.
« Le point essentiel de cette réforme est la séparation plus nette entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Ce n’est pas un secret que j’ai toujours appuyé l’idée de créer un organe indépendant, » insiste Robert Biever, le procureur général d’État, dans un entretien accordé au Land. Car jusqu’ici, les magistrats ont toujours été nommés par le ministre. Après la création du Conseil, le grand-duc nommera les magistrats du siège proposés par le CNJ. Il désignera les magistrats du Parquet sur proposition du ministre et sur avis conforme du CNJ.
Une des préoccupations principales du groupement des magistrats, qui s’occupe de la défense syndicale de ses membres, a toujours été la composition du Conseil (d’Land du 23 mai 2008). Selon lui, il fallait éviter à tout prix une mainmise par des hommes politiques et avocats sur la justice et l’exposer à des pressions externes. Or, une composition comprenant exclusivement des magistrats aurait renforcé le corporatisme, insiste Robert Biever, qui défend une plus grande ouverture de la justice. Le ministre François Biltgen propose donc quinze membres, dont dix sont des magistrats : le président de la Cour suprême (pour autant que le projet de création d’une Cour suprême aboutisse), le procureur général d’État, les présidents de la Cour d’appel, de la Cour administrative, du tribunal administratif et du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. En alternance, le président du tribunal d’arrondissement de Diekirch et le procureur d’État auprès du Parquet de Diekirch. Ensuite, le procureur d’État auprès du Parquet de Luxembourg, un magistrat d’une justice de paix et un magistrat de l’ordre judiciaire, désigné par une association professionnelle comme le groupement des magistrats. Pendant les pour-parlers, il y aurait même eu un bras de fer entre les juridictions administratives et les instances judiciaires.
En pratique, ce ne sera sans doute pas facile de réunir très souvent tous ces chefs de services, car selon la note Biltgen, « les membres magistrats continuent à exercer leurs fonctions au sein de leur juridiction d’origine ou de leur Parquet d’origine » – ils pourront néanmoins bénéficier d’une décharge partielle de leur fonction. La question de la durée de leur mandat ne se pose pas, puisqu’il suffit de revêtir une des fonctions énumérées pour faire partie du CNJ.
Pour les cinq postes restants, le mandat est limité à cinq ans, renouvelable une seule fois. Le ministre prévoit d’en réserver deux aux avocats, un à l’université du Luxembourg et deux à la société civile. Ces deux « représentants des justiciables » seront désignés par les trois autres membres non-magistrats.
L’indépendance face au pouvoir politique est assurée par l’incompatibilité avec un mandat au parlement, au gouvernement, au Conseil d’État ou au parlement européen. Selon Robert Biever, ces membres ne pourront être désignés par aucune de ces institutions, ni même des partis. Qu’en est-il des autres mandats ou fonctions politiques ? Par exemple au niveau des communes ou de la Cour des comptes, où les conseillers sont désignés par les partis ?
« Les deux membres cooptés ne devront pas nécessairement être des juristes, poursuit-il, il est essentiel qu’ils s’intéressent à la chose publique. Ils porteront le regard de l’extérieur, de la société vers l’intérieur de la justice. » Le président du CNJ ne devra pas forcément être un magistrat – il sera élu par les membres du Conseil.
À côté du recrutement et de la formation, le CNJ s’occupera de la nomination et de la promotion des magistrats, de la déontologie judiciaire, de la discipline des magistrats, du bon fonctionnement des juridictions et des Parquets et des plaintes des justiciables. « Le CNJ fera office de ministère public, explique Robert Biever, il ouvrira le dossier et l’instruira. Selon les résultats de l’enquête, il pourra engager une procédure disciplinaire contre un magistrat par exemple, ou prendre une mesure plus générale comme formuler des recommandations ou faire des propositions adressées au parlement ou au ministre.
Pour le procureur général d’État, l’ouverture face aux justiciables et l’indépendance de la justice par rapport à la politique sont deux points primordiaux. « Le consensus luxembourgeois ne suffit plus, il faut adapter les textes aux réalités, » poursuit-il, tout sourire, « vous savez, même le soviet suprême a évolué ! »