Psychothérapie

De quoi la science du diagnostic est-elle le symptôme ?

Mélancolie
d'Lëtzebuerger Land vom 24.02.2017

Depuis quelque temps des psys de tout poil et de toute obédience se chamaillent dans la presse à propos de la nouvelle loi sur la psychothérapie. C’est dans ce contexte qu’un psychologue, professeur à l’Université (du Luxembourg), a pu proclamer du haut de sa chaire : « Durch die Aufnahme in die Ärztekammer (Collège médical) hat er [le législateur, ndlr] den Psychotherapeuten- dem Arztberuf gleichgesetzt.1 » Nous savons qu’une bonne thérapie consiste à restituer son histoire au patient, mais ici nous sommes plutôt dans le domaine de la fable. Sourions-en donc quelques instants avec de La Fontaine :

Un psy vit un diplôme neuf
Qui lui sembla de belle taille.
Lui, qui n’était pas médecin et un peu dans le bluff,
Envieux, s’étend dans la presse et fouaille
Pour égaler le docteur en profondeur,
Disant : « regardez, Lydia, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je pas encore ?
– Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ?
– Vous n’en approchez point », dit la rétive sécu.
Le psy s’enfla si bien qu’il creva.
Le pays est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout thérapeute veut soigner comme les grands docteurs,
Tout petit psy a des folies d’grandeur,
Tout sorcier veut avoir des gages.2

Mais en matière de psychothérapie, il ne s’agit ni de fable, ni de roman, fût-il celui, familial, de Freud, ni même de conte. Il y va plutôt de comptes à rendre, voire, malheureusement de comptes à régler. Les thérapeutes ne sont pas des comptables, même s’ils sont comptables de leurs actes, par rapport tout d’abord aux patients, bien sûr, par rapport aussi, ensuite aux pouvoirs publics qui contrôlent la profession et qui paient les professionnels. Et cette comptabilité très particulière commence avec le diagnostic.

Or le diagnostic est un acte médical, contrairement à ce qu’affirme le professeur Steffgen dans sa prise de position suscitée. Il y a bien sûr aujourd’hui une inflation de la science diagnostique et on parle à juste titre de diagnostic infirmier, de diagnostic psychopathologique, de diagnostic en matière de kinésithérapie, et cetera. Et l’article 4 de la loi précise bien que le futur psychothérapeute doit acquérir, dans sa formation, des « compétences en matière de diagnostic psychothérapeutique ». Mais en amont de ce genre de diagnostic, il y a le diagnostic médical, reconnue et établie par l’OMS dans son International classification of diseases qui en est actuellement à sa dixième édition. Ce diagnostic que seul le médecin est habilité à poser décide de la thérapie à appliquer, que ce soit en médecin interne, en chirurgie ou encore en psychiatrie.

Dans notre système médical, basé sur le conventionnement obligatoire des prestataires de soins avec la Caisse nationale de santé (CNS), ce diagnostic implique aussi le remboursement ou non de la prise en charge du patient. En général, la CNS ne rembourse que ce qui relève de la maladie. Un diagnostic et une prescription médicale en amont d’une psychothérapie sont donc indispensables, à la fois pour dire de quelle maladie ou souffrance il s’agit, pour exclure une causalité organique, pour poser l’indication du genre de psychothérapie à appliquer et last but not least pour permettre ou pas une prise en charge financière.

Le psychothérapeute non médical doit donc, bien sûr, avoir des connaissances en matière de diagnostic médical, mais sa compétence se limite au diagnostic psychothérapeutique. D’ailleurs si tel n’était pas le cas, quel jeune étudiant se coltinerait encore plus de douze ans d’études médicales et psychiatriques alors que cinq années d’études en psychologie suffiraient pour pouvoir bénéficier d’une formation de psychothérapeute qui serait « gleichgestellt » au médecin ? Le résultat en serait une pénurie de psychiatres face à un trop plein de thérapeutes non médicaux. Les propos du professeur de l’université locale sont-ils alors naïfs ou simplement de mauvaise foi ?

Certains psychothérapeutes, dans cette discussion, brandissent le critère de scientificité comme le fétichiste exhibe une bottine. Ils se sentent légitimés par la création d’un « conseil scientifique » instauré par la nouvelle loi et censé conseiller la ministre quant à la formation et à la reconnaissance des psychothérapeutes. Mais de quoi le terme de science est-il le symptôme ? D’une société tout simplement (?) qui a perdu ses repères, qui ne sait plus à quel saint se vouer et se remet donc à des saints qui ne sont que des idoles et des caricatures. La science fait office aujourd’hui d’une telle idole.

Alors que nous savons depuis les grands philosophes Dilthey et Jaspers qu’il faut distinguer entre deux espèces de sciences : les sciences humaines et les sciences naturelles. Des critères précis de scientificité ont été définis par ces deux philosophes, puis ils ont été affinés par des épistémologues comme Russell et Popper. Les sciences naturelles, comme les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie répondent à ces critères. Les énoncés de ces sciences peuvent être mesurés et réfutés. Tel n’est pas le cas des énoncés dans le domaine des sciences humaines que sont l’histoire, les arts, la philosophie dont la psychologie est une branche. La médecine non plus n’est pas une science, elle est un art qui se sert de la science. Ou pour le dire autrement : la médecine est la science humaine par excellence et elle se sert de la science naturelle. Les psychothérapeutes seraient bien inspirés de se revendiquer avec fierté de leur appartenance au domaine des sciences humaines, comme le font donc les médecins, mais aussi par exemple les psychanalystes.

La dénomination « conseil scientifique » est donc au pire une imposture, au mieux un acte fétichiste. C’est (aussi) pour ces raisons que votre serviteur a démissionné de ce drôle de conseil. Le fétiche, nous a appris Freud, est le bout de fourrure ou de tissu avec lequel on habille symboliquement le roi que nous savons pourtant nu. Le fétiche sert à cacher l’absence du pénis de la mère comme le sceptre et la couronne du souverain nous cachent que son sang n’est point bleu. Et la scientificité revendiquée par les universitaires de la psychothérapie est l’aveu que leurs théories et pratiques ne relèvent pas de la science au sens des sciences naturelles.

Mais pourquoi aveu ? Ce que ces thérapeutes « scientifiques » considèrent comme un manque n’est rien d’autre qu’une force. Ce n’est pas d’un moins qu’il s’agit, mais d’un autrement. Heureusement que la mère n’est pas phallique et qu’il n’y a pas de sang bleu qui coule dans les veines du roi. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui nous devons relire autrement la fable de Jean de La Fontaine. La grenouille est certes moins grosse que le bœuf, mais elle est surtout différente. On a vu des grenouilles se métamorphoser en prince quand les bœufs ont été transformés en steak. Arrêtons donc de nous la faire jouer avec une « science » psychothérapeutique en mesurant l’angoisse comme on mesure la fièvre et en notant la dépression comme on note la tension artérielle. La grandiloquence d’un tel discours n’a jamais tenu lieu d’éloquence. Soyons fiers, au contraire, médecins et psychologues, psychanalystes et psychiatres, d’être des humanistes et non pas des comptables.

Paul Rauchs est psychiatre et psychanalyste.

1 Georges Steffgen« Der Patient im Mittelpunkt ! »Luxemburger Wort11.02.2017

2 d’après Jean de La FontaineLa grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf

Paul Rauchs
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