Puisque nous sommes entrés en 2014 dans une période de commémoration du centenaire des évènements qui ont jalonné la Première Guerre mondiale, il ne faudra pas oublier l’année prochaine de se souvenir qu’en 1918, au moment où elle touchait à sa fin, l’épidémie de « grippe espagnole » fit au moins cinquante millions de morts dans le monde, soit trois fois plus que le conflit lui-même.
Rien à voir, par conséquent, avec l’épidémie de grippe que nous connaissons chaque année, même si elle fait de 250 000 à 500 000 victimes tous les ans dans le monde. Au-delà de leurs aspects sanitaires et humains, les épidémies de toutes sortes (lire encadré) représentent pour la société un coût élevé que les pouvoirs publics et des organisations comme l’OMS s’efforcent, avec beaucoup de difficultés, d’évaluer.
Les dépenses à prendre en compte sont très variées. Pour rester sur l’exemple de la grippe, il faut en premier lieu calculer la « surconsommation médicale », par rapport à une période normale, en termes de consultations, d’achats de médicaments et d’hospitalisations et aussi être capable de mesurer le coût des complications médicales (hospitalisation de « personnes à risques » pour infection, détresse respiratoire ou réanimation) et de la surmortalité éventuelle. Il convient aussi d’inclure le coût de la prévention, en particulier par le truchement de la vaccination. La recommandation de l’OMS d’atteindre les 70 pour cent de vaccinés pour avoir une bonne protection collective peut conduire à d’énormes gaspillages, au nom du principe de précaution (lire encadré). La vaccination soulève d’autres problèmes : effets secondaires possibles, doute sur son efficacité (de 50 à 80 pour cent selon les années car le virus évolue dans le temps), faible proportion de vaccinés, risques de négliger les méthodes classiques de prévention.
En dehors des dépenses médicales, il existe aussi un coût social, représenté par les indemnités versées aux salariés et aux entreprises par les systèmes d’assurance-maladie. Le coût économique stricto sensu prend en considération l’absentéisme des salariés atteints par la maladie (une semaine d’arrêt de travail au minimum), la désorganisation du travail, la diminution de la productivité et la baisse de la consommation souvent observées lors d’une épidémie.
Sur ces bases, en France le coût annuel d’une épidémie modérée de grippe qui touche environ un million d’actifs a été chiffré entre 900 millions et 1 milliard d’euros, réparti en trois parties à peu près égales : 300 millions pour les dépenses médicales directes (hospitalisations et consultations), 300 millions pour la compensation des arrêts de travail par l’assurance-maladie et 400 millions de dépenses à la charge des entreprises (compléments de salaires et recours à des contrats temporaires). Ce montant correspond à mille euros par actif touché et à un peu moins de 0,05 pour cent du PIB, une évaluation qui doit pouvoir être retenue pour la plupart des pays développés, mais qui ne prend pas en compte l’incidence sur la productivité et la consommation.
Cet impact peut surtout être observé en cas d’épidémie grave, en raison des perturbations affectant certains secteurs d’activité comme les transports, l’hôtellerie, la restauration, le commerce et les services dans la mesure où les gens sortent moins et où les mesures préventives et d’hygiène peuvent être contraignantes (port de masques par exemple). Heureusement, depuis un siècle l’Europe n’a pas connu de catastrophe sanitaire de cette ampleur. Idem au niveau mondial, depuis la « grippe asiatique » (un à deux millions de morts en 1957-58) et la « grippe de Hong-Kong » (un à deux millions de morts entre 1968 et 1970).
Cela étant, si on extrapole au niveau mondial les calculs faits en France, une épidémie de grippe « courante » coûte tout de même de vingt à trente milliards de dollars chaque année à l’économie mondiale. Et des épidémies moins graves sur le plan sanitaire peuvent coûter bien davantage par leurs effets induits : en 2002-2003, l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), bien que limitée dans le temps (huit mois) et en nombre de victimes (environ 900 décès sur 8 500 cas recensés), avait coûté 54 milliards de dollars à l’économie mondiale selon l’OMS. En effet elle s’était traduite, notamment en Asie, par la mise en quarantaine de dizaines de milliers de personnes (on avait évoqué le « blocus sanitaire » de Hong-Kong), par la fermeture de centaines d’écoles, par de fortes perturbations dans les transports à cause des craintes de contamination et des contrôles, et par la chute du commerce et du tourisme (-80 pour cent de revenus touristiques en Chine). L’Asie du sud-est a accusé un recul d’environ deux pour cent de son PIB en 2003. Plusieurs entreprises européennes et américaines, comme les tour-operators et les compagnies aériennes, se sont retrouvés en grandes difficultés en raison de leur « exposition asiatique ».
Une situation que connaît bien l’Afrique, régulièrement touchée par des épidémies meurtrières aux effets délétères aussi bien sur le plan humain qu’économique. Ce fut le cas du virus Ebola en Afrique de l’Ouest à partir de mars 2014. Dans les trois pays les plus touchés, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée, on a dénombré en deux ans près de 29 000 cas ayant entraîné 11 300 décès. Bien qu’assez rapidement sous contrôle, la propagation de l’épidémie était tellement rapide, à un certain moment, que la présidente du Libéria Ellen Johnson Sirleaf a évoqué à la tribune des Nations-Unies en octobre 2014 la possible disparition pure et simple de son pays et lancé un appel pressant à l’aide internationale. Coupé du reste du monde, le Libéria a vu le chômage grimper en flèche (ArcelorMittal a ainsi licencié 1 500 personnes) alors même que sa population était confrontée à une situation précaire sur le plan sanitaire, économique (problèmes d’approvisionnement en énergie, en carburant et en produits de base) et même sécuritaire dans un pays fragilisé par les années de guerre civile.
La Banque africaine de développement a calculé que l’épidémie avait coûté 360 millions de dollars à ces trois pays en 2014, soit trois points de PIB : diminution de la production agricole et industrielle en raison de la pénurie de main-d’œuvre, baisse des revenus des ménages, hausse des prix des denrées alimentaires, aggravation des déficits publics comme conséquence de la chute des recettes fiscales et de l’augmentation des dépenses de santé.
Mais si les dégâts sanitaires ne se sont pas trop étendus aux pays voisins, les conséquences économiques ont touché toute la région, en raison de la forte interdépendance des pays : les échanges ont été paralysés par la fermeture des frontières et les restrictions dans le transport (contrôles routiers et ferroviaires, annulations de vols). Les experts de la Banque Mondiale évoquent aussi l’impact des réactions de peur ou de panique, et l’application excessive du principe de précaution dans les pays eux-mêmes et chez leurs partenaires commerciaux. La Banque Mondiale évaluait à 3,8 milliards de dollars les pertes économiques pour l’Afrique de l’Ouest sur les deux années 2014 et 2015 en cas d’épidémie maîtrisée, mais l’hypothèse pessimiste frôlait les 33 milliards, soit près de cinq pour cent du PIB régional. Avant l’irruption du virus dans la région, l’Afrique de l’Ouest était la zone la plus prometteuse du « continent noir » et affichait des prévisions de croissance très enviables.
Si fort heureusement l’épidémie due au virus Ebola n’a eu qu’un caractère ponctuel (bien que sa récurrence inquiète), les quelque 2,5 milliards d’habitants d’Afrique et d’autres régions tropicales et subtropicales dans le monde sont chaque année attaquées par la dengue, qui cause entre cinquante et cent millions d’infections (trente fois plus qu’en 1960) dont 2,5 pour cent seraient mortelles. En Thaïlande on a calculé son coût à environ 500 dollars par patient, soit huit pour cent du PIB par habitant. Appliqué à l’UE cela donnerait un coût de 2 850 dollars par personne touchée soit trois fois plus que la grippe courante ! Une épidémie dont la récurrence meurtrière s’explique par le coût exorbitant des mesures de prévention hors vaccination (démoustication) qui les rendent hors de portée des pays les plus touchés.
Vaccins en fumée
En juillet 2009la ministre française de la santé Roselyne Bachelot commandait 94 millions de vaccins afin de faire face à la pandémie de grippe H1N1 annoncée par les épidémiologistes. La grippe s’est finalement révélée moins grave que prévu de sorte que seulement six millions de Français s’étaient fait vacciner ! Pour écouler le stockla ministre adès janvier 2010annulé auprès des laboratoires pharmaceutiques la livraison de cinquante millions de dosesmoyennant un dédommagement de 48 millions d’euros. Douze millions de doses produites ont été données à l’OMS. Les 26 millions de doses restantes ont été progressivement incinérées dans des usines spécialisées sous le contrôle de l’Eprus (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires). La Cour des comptes a évalué à 3827 millions d’euros le coût pour l’État de ces vaccins inutiles. Mais le cas de la France n’était pas isolé : au Royaume-Uni on avait commandé deux doses par personne. gc
Quelles épidémies ?
En 2016l’Organisation Mondiale de la Santé a émis 136 signalements de « flambées épidémiques » contre 157 en 2015. Les cas les plus fréquents ont concerné les infections humaines par le virus de la grippe aviaire (ChineThaïlandeAutriche)le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Arabie SaouditeÉmirats)la dengue (Burkina FasoUruguay)le chikungunya (KenyaArgentineEtats-Unis) et l’infection du virus zika (ChineÉtats-UnisPérouChiliCubaPanamaPapouasie). On a aussi vu réapparaître le choléra (en Tanzanie) et la fièvre jaune (en Angolaen RD Congoen Ouganda et au Kenya). Début 2017cette dernière a été signalée au Brésil tout comme la peste à Madagascar. Une étude menée en 2008 a conclu queindépendamment des facteurs sanitaires« l’avion est le facteur clé de propagation des épidémies au niveau mondial » car les principales lignes en termes de flux de passagers sont des « chemins préférentiels pour les maladies ». gc