Salvador Dali, l’un des plus mauvais artistes célèbres du XXe siècle en avait fait une architecture récurrente dans son univers « camembert coulant ». En allemand : Die Krücken der Impotenz. Il s’agit de ces béquilles improbables qui tiennent et supportent, entre autres, son autoportrait mou datant de 1941. Sept ans plus tard, Alberto Giacometti sculptait son célèbre Nez, un bronze en forme de tête hallucinée dont les dimensions du nez dépassent de loin l’imaginaire de Carlo Collodi. Cette tête suspendue a eu une influence certaine sur la création du masque d’Alexandre de Large, l’anti-héros de A Clockwork Orange par Anthony Burgess, pour la mise en scène par Kubrick en 1971. Ainsi, la prothèse phallique, conçue comme ersatz viril est une image qui s’est imposée à la mémoire visuelle collective du XXe siècle.
Cette idée de proposer des prothèses comme objets et images de l’art est également centrale au work in progress de Mike Bourscheid depuis le début des années 2010. Comme une suite ironique qu’il aurait donnée au Passstücke de Franz West (jadis exposés à la belle époque de l’art contemporain, au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, en 1996), Mike Bourscheid applique la production de prothèses d’art à sa propre biographie. Il en résulte une exposition au centre d’art Nei Liicht à Dudelange qui fait penser à la collection de reliques d’une gueule cassée de l’art actuel, qui refuserait de se rendre à l’évidence : l’homme du XXIe n’est plus un gagnant-né.
Dans son artist’s statement, disponible à l’exposition de la galerie Nei Liicht à Dudelange, Bourscheid compare son univers artistique à l’intérieur d’un bistro luxembourgeois : un petit espace de liberté dans un société étriquée et conservatrice. Son exposition ehe Ehe en donne une version muséale. Les prothèses absurdes de Bourscheid y sont exposées à la manière d’un petit musée ethnographique qui se serait borné à ne collectionner les œuvres d’une seule personne : le fou du village.
Mais pas si fou que ça ! À lire, voir et entendre Mike Bourscheid, on comprend vite que cet homme aux allures de bûcheron canadien, s’applique à transmettre une sensibilité et une intelligence artistique rares. Bourscheid est un vrai mec, mais un mec qui doute. Ses moyens pour y parvenir : l’humour ; ses techniques : le dessin, la sculpture, la photographie et la performance.
Le jazz à Dudelange a son histoire et son actualité ; chez Mike Bourscheid, il trouve son application orthopédique. Sur les cimaises de la galerie Nei Liicht une affiche intitulée Autsch Jazz montre l’artiste assis sur une chaise en train de faire fonctionner un objet étrange qu’il a fixé autour de sa rotule gauche. Cet hybride, qui associe prothèse du genou et Klibber luxembourgeoise traditionnelle, illustre bien l’humour et la dérision que Bourscheid assène à la notion de body art du début des années 70.
Ignoré par le Mudam, comme par le Casino, le travail de Mike Bourscheid n’est cependant pas inconnu au Luxembourg. Après une première pièce exposée aux rotondes en 2007 lors de l’exposition Roundabout, c’est essentiellement à travers des manifestions du CNA, comme la Portfolio night, mais aussi la Triennale de Luxembourg au Carrérotondes en 2013, que Mike Bourscheid avait déjà montré des extraits de son univers artistique.