Cache-Cache de Guy Rewenig n’est pas une nouveauté au sens propre puisqu’il (ne) s’agit (que) de la traduction de Wëll Fra, paru en 1993. Une aubaine malgré tout pour les non-luxembourgophones qui s’intéressent à la littérature autochtone. Par ailleurs, les traductions d’œuvres d’auteurs luxembourgeois sont des phénomènes assez rares pour être signalés. Une traduction que l’auteur lui-même aurait pu faire, mais qu’il a préféré confier à Anna Schlechter. Le récit en français ne perd rien de ses saveurs langagières, mis à part le titre qui, seulement dans sa version originale, est multiallusif. Wëll Fra évoque en effet tant la femme sauvage, primitive que la phrase tronquée « veux femme » et rappelle phonétiquement la Gëlle Fra, celle qui unit et que l’on vénère. A contrario, Cache-Cache ne fait penser qu’au jeu d’enfants. Or, dans le récit de Guy Rewenig, lequel, vingt-et-un ans après, reste malheureusement toujours aussi actuel, il n’est question ni de jeu ni d’enfants, mais d’une tragédie dont les responsables sont des adultes. Ou plutôt de tragédies, individuelles et collectives. Qui n’épargnent aucun personnage et encore moins les deux personnages principaux, le Luxembourgeois Mars Werfer et la Capverdienne Djalaya dos Fogos.
Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer, mais voilà le Luxembourgeois, veuf, n’est plus de la première jeunesse et les rares femmes qui le contactent après avoir lu son annonce semblent toutes porter un lourd fardeau psychiatrique. D’où sa décision, en désespoir de cause, de s’inscrire dans une agence matrimoniale. Bien sûr, les nouvelles candidates ne sont pas mieux que celles d’avant, mais l’obligation de résultats fait que le conseiller doit s’acharner jusqu’à trouver la promise, même si cette dernière habite depuis sa naissance sur son île du Cap-Vert. Bien sûr que le dénouement aurait pu être heureux. Il n’en est pourtant rien. Les contes de fées ne sont destinés qu’aux enfants.
Avant même que le lecteur ne fasse connaissance avec les protagonistes, il apprend la mort de l’un deux, celle de Djalaya. Entre elle, la déracinée, et lui, la compassion s’installe automatiquement. Elle incarne la victime idéale, mais est-elle si blanche que ça ? Et Mars Werfer alors, un loup dans la bergerie ? Les couleurs se mélangent pour ne laisser apparaître que du gris, celui des zones d’ombre.
Car tant Djalaya que Mars Werfer traînent des casseroles. Elle a quitté son île pour la respectabilité, celle de donner un père à son enfant au lieu de rester fille-mère. Pour changer de statut, dont financier, même s’il est difficile de pouvoir reprocher à quelqu’un d’avoir tout fait pour mener une vie décente. Lui, aurait-il dû se remarier après les frustrations sans limites que lui a fait subir sa première femme ? Et même si, aurait-il dû épouser une Africaine, alors qu’il évolue au sein d’un milieu social bas et étriqué, qu’il n’était jamais allé plus loin qu’Audun-le-Tiche et qu’il ne parvient pas à apprendre le portugais ?
Qu’elle l’ait trompé ou qu’il ait levé la main sur elle, qu’importe. Le dénouement tragique était écrit d’avance. Et nous en portons tous la faute.