Les premières pages pourraient être celles d’un blog. Un blog d’actualité qui relaterait les dernières informations en provenance de Fukushima. Retour sur le 11 mars 2011 et les jours qui suivirent. Le plus gros accident nucléaire après Tchernobyl. Au fur et à mesure que passèrent les jours et selon les médias, les faits bruts ont pu laisser la place aux images. Il y eut les premières, plans larges, montrant vagues montant jusqu’à dix mètres, puis explosions des réacteurs. En vinrent ensuite d’autres, des gros plans qui fixèrent la tragédie humaine, de celles qui déclenchent des vagues d’émotions et des élans de compassion, voire de solidarité, comme les affectionnent les photoreportages.
C’est ce tout qui semble avoir été à l’origine du recueil de poèmes en prose d’Hélène Tyrtoff, Mars. Sans jamais passer pour une usurpatrice, Hélène Tyrtoff raconte cette catastrophe qui s’est déroulée aux antipodes, à 10 000 kilomètres, et qu’elle n’a pas vécue. L’Histoire est bien présente, mais en toile de fond ; elle laisse la place à des histoires, des tragédies humaines – lesquelles, bien que fictives, sonnent plus vrai que la réalité. Et qui semblent avoir toutes été fécondées à partir d’une unique photo, reprise dans tous les medias, celle d’« une femme dans les ruines, les tonnes de gravats ».
De l’intérieur et par le biais de l’intime. C’est ainsi qu’est relatée dans Mars la catastrophe de Fukushima. À travers les yeux et les sentiments de la narratrice, tour à tour actrice ou spectatrice. Ici, pas de chiffres, ni de statistiques, mais un cauchemar dans un espace qui paraît fatalement clos et où le temps se fait subjectif – s’accélère, ralentit ou s’arrête. Les victimes, rescapés inclus, ont vécu l’atrocité. Le lecteur n’en est pas épargné.
Ici, la douleur d’une femme trahie, là, la peur d’un couple qui doute de son abri de fortune, là, l’incrédulité qui plonge un conducteur dans l’inertie, là, l’amour protecteur d’un père envers son fils, là, le désespoir d’avoir perdu les siens, là, la fatalité, là, le sentiment amoureux qui perdure malgré la perte, là l’inconscience. Et une écriture qui devient au fil des pages de plus en plus torturée jusqu’à une quasi illisibilité.
Prenant le contrepied de Paul Celan qui, lui, a éprouvé la nécessité, pour pouvoir continuer à écrire après l’horreur nazie, de créer une nouvelle langue purifiée, Hélène Tyrtoff la malmène pour qu’elle ne puisse plus s’écouler avec limpidité, mais faire écho à la catastrophe. Lore Bacon