Il ne paye pas de mine et il est partout. Il est super-modeste, le mec au comptoir qui te paye une bière et cherche la discussion, mais il sait tout faire : les meilleures photos de concert de l’exposition 3 songs no flash actuellement au Carré Rotondes, des critiques de concert où l’humour pince-sans-rire cache mal son érudition intarissable sur les musiques actuelles (publiées au Land), des études photographiques de milieux sociaux (Gipsy Queens, 2013), l’organisation de concerts (il est un des maîtres des Aralunaires à Arlon), le deejaying avec un penchant pour l’électro (A boy named Seb), les commentaires de matches de foot... et accessoirement, il est consultant dans une des Big Four au Luxembourg. Sébastien Cuvelier le caméléon écrit des phrases comme celle-ci : « J’ai mixé avec Kavinsky avant que sa musique ne soit dans Drive. C’était pas un très bon DJ. Maintenant c’est une star. Et ce n’est toujours pas un très bon DJ ». Et on ne peut que l’aimer pour ça.
La phrase se trouve dans la post-face de Instant Star, son nouveau livre publié en auto-édition et qui compile six années de Polaroid de musiciens pris sur le vif, en coulisses, avant ou après leurs concerts, signés sur place par les artistes eux-mêmes. L’idée est aussi évidente que géniale : comme, de toute façon, il côtoie les musiciens les plus pointus dans les loges ou les espaces backstage, soit pour les interviewer, soit en tant qu’organisateur, soit parce que lui-même fait partie de la programmation en tant que deejay, il s’est un jour résolu à prendre une photo, pour tout bêtement fixer ces souvenirs. Or, il ne le fait pas au téléphone portable avec les applications à filtres reproduisant des effets vintage, mais en analogue, avec son bon vieux Polaroid – avec tous les aléas que cette technologie révolutionnaire de la deuxième moitié du XXe siècle lui imposent. Couleurs instables, luminosité incontrôlable, réussite improbable. Et c’est ce qui fait toute la poésie des images.
Cette poésie du moment unique, Michel Cloup, le chanteur de feu Diabologum qui continue sa carrière en duo actuellement, la rend bien dans sa préface très personnelle. Et Seb Cuvelier l’amplifie avec ses petits textes accompagnant les photos les plus marquantes, pas autant par leur résultat que par le moment qu’elles marquent. Comme l’incontrôlable Daniel Darc qui pisse dans l’évier de la sacristie juste après la photo prise dans l’église du Sacré Cœur à Arlon. Ou l’anecdote de la photo de Stephen O’Malley de Sunn 0))), complètement noire parce qu’après son set de drone dans les caves du Casino, l’artiste ne voulait poser que dans le noir et sans flash. Il a écrit « Perfect ! » au gros marqueur noir dessous.
La musique live est toujours unique, un équilibre fragile entre l’artiste et le public, l’ambiance, le lieu et tout plein d’autres facteurs imprévisibles. Lorsque l’alchimie fonctionne, que la communion a lieu, c’est magique, et les Polaroids de Seb Cuvelier arrivent à rendre cette magie dans toute son imperfection. Utilisant d’abord ses anciens films, dont la production avait été interrompue en 2008 et qu’il avait méticuleusement gardés dans son frigo. Puis, en 2010, les pellicules dont les anciens employés de l’usine Polaroid à Enschede (NL) ont repris la production sous le nom Impossible Project ; Seb Cuvelier essaie tout. « Il fallait sans arrêt ajuster les paramètres, sans trop savoir comment le film allait réagir. Les couleurs, la luminosité, l’aspect s’en ressentent, écrit-il. Les photos n’en sont que plus uniques. »
Son livre est une compilation de ces moments uniques, où il a rencontré les idoles de sa jeunesse, comme Billy Corgan des Smashing Pumpkins, ou découvert de jeunes musiciens qui ont dix ans, quinze ans de moins que lui. « Montrer ces visages de musiciens qui ne finissent plus par exister que par l’une ou l’autre référence sur un blog musical hype ou un top 10 de fin d’année d’un lointain ami Facebook ». Ses photos, on ne les scrolle pas, on les regarde en feuilletant les pages du livre. On ne like pas par un clic rapide, mais on met peut-être des post-it ou ces petits bouts de papiers retrouvés tout abîmés dans la poche d’un jean pour marquer les pages. Instant Star est un livre nostalgique, un album avec des photos jaunies qui parlent avec beaucoup de tendresse d’une grande famille.