Un accélérateur de particules dans la politique du logement d’un gouvernement qui n’a actuellement ni les moyens de ses ambitions, ni de plans d’action bien définis pour la mener : Marco Schank, le ministre du logement, CSV, a fait lundi lors d’une conférence de presse le service après-vente du Premier ministre Jean-Claude Juncker, CSV, qui avait promis le 8 mai, dans son discours sur l’état de la nation, de « trouver un moyen d’adapter le prix des logements pour qu’ils soient abordables pour tous ». Si le ministre n’a pas fait d’annonces fracassantes sur les avancées du Plan sectoriel logement, toujours aussi nébuleux, c’est qu’il n’avait pas grand-chose à présenter dans sa besace, si ce n’est la décision de principe adoptée par le Conseil de gouvernement le 4 mai dernier de désigner des zones de projets d’envergure, justement dans ce plan pour y développer des projets pilotes. L’initiative fera l’objet d’un projet de loi dont on ne connaît pas, à ce stade, les avancées sur le plan de la faisabilité, du calendrier et de son financement. Les observateurs plus réalistes assurent que rien ne pourra se faire avant 2020, tant le dossier est complexe sur le plan juridique. Si la réforme de la loi de 1999 sur l’aménagement va plus vite que prévu – il n’est plus irréaliste de penser qu’elle sera votée encore cette année – et qu’elle servira de base légale aux plans sectoriels logements des communes pour qu’elles puissent aménager plus de surfaces habitables sur leur territoire, encore faudra-t-il du temps avant d’acheter les terrains à leurs propriétaires respectifs et l’argent pour le faire. On peut s’imaginer que lorsqu’elle sera publique, la carte des zones d’habitations à construire par la manne publique va provoquer une surchauffe des prix du foncier. L’effet inverse que ce que cherche le gouvernement.
Les autorités veulent pourtant aller vite pour contraindre les communes qui auront été « désignées » pour accueillir des grandes cités à s’exécuter : quel laps de temps auront-elles à disposition pour le faire ? Deux ans ou davantage ? Le texte de loi le définissant est encore à l’état d’ébauche. Marco Schank a promis de présenter un projet de loi clef en main en juillet, mais il risque de ne pas pouvoir tenir ses engagements tant le travail à accomplir est encore important. En tout cas, un rendez-vous a été pris par son administration au début du mois de juillet avec le ministère des Finances pour parler gros sous. La facture pourrait se révéler insoutenable : les premières estimations parlent de deux milliards d’euros pour réaliser le plan sectoriel logement sur la base de prix de construction pratiqués dans le nord du pays (35 000 euros par are). Ce n’est certainement pas à ce prix que l’État luxembourgeois pourra espérer s’offrir des terrains dans la périphérie de la capitale, ni même dans le sud du pays. Il dispose déjà d’une partie des surfaces, notamment à Dudelange via le Fonds du Logement, mais il faudra compléter son portefeuille foncier.
L’argent est pourtant le nerf de la guerre pour financer la construction de logements sociaux en quantité suffisante pour mettre un terme à une aberration nationale, celle de la fuite des résidents vers des régions frontalières où le foncier reste encore abordable et inversement, l’arrivée au grand-duché de résidents étrangers hautement qualifiés, prêts à payer les prix actuels du marché et alimentant ainsi la bulle immobilière.
Un simple coup d’œil sur la carte définissant dans le plan sectoriel logement les zones où des « projets d’envergure destinés à l’habitat » pourront être développés rapidement (19 sites sur 552 hectares au total), laisse sceptique sur les chances du gouvernement d’y créer, comme l’a annoncé lundi Marco Schank, 17 680 logements pour 45 000 habitants. Un tel rythme permettrait d’ailleurs au gouvernement d’atteindre un excédent de production de 800 logements par an à l’horizon 2030.
L’essentiel des 552 hectares, dont « les processus de planification sont en cours » selon le dossier de presse – alors que dans les faits, 211 hectares seulement sont inclus dans les plans d’aménagement généraux (PAG), le reste étant en zone verte –, se situe dans la région centre-sud sur un périmètre de 283 hectares répartis sur dix sites.
Le plan sectoriel logement servira-t-il de prétexte aux communes pour reclasser des terrains en zone verte, alors que le potentiel foncier à la périphérie de la capitale est énorme et permettrait de construire au moins autant de surfaces que la ville en compte déjà ? Il n’y a pas d’arguments ni d’urgences à reclasser des terrains. On aura d’ailleurs relevé la contradiction dans le fait que le ministre du Logement ait d’abord présenté lundi, lors de sa conférence de presse, les résultats d’une étude de l’Observatoire de l’habitat sur le potentiel foncier signalant que plus de 21 pour cent des zones du PAG destinées à l’habitation sont encore disponibles par commune avec un total de 2 701 hectares (sur lesquels 30 000 logements pourraient être construits), dont 28 pour cent seraient mobilisables rapidement, c’est-à-dire dans les deux ans. Dans la capitale, 234 hectares sont encore disponibles à la construction de logements, selon l’Observatoire.
Avec dix sites retenus sur 283 hectares, la région centre-sud apparaît en tout cas en bonne place sur la carte où le gouvernement prévoit de lancer des projets à « caractère modèle et formes d’habitat contemporaines et durables pour favoriser la sédentarisation de la population ». Un langage politiquement correct pour désigner des cités à vocation sociale, avec des logements essentiellement locatifs, en nombre largement insuffisant au Luxembourg. Le parc locatif social par rapport au nombre total de logements sur le marché affiche un des taux les plus bas d’Europe, avec à peine trois pour cent, contre trente pour cent aux Pays-Bas et près de vingt pour cent en France.
Le rythme avec lequel le Fonds du logement agrandit son offre sociale n’est pas de nature à inverser la tendance, ni d’ailleurs à favoriser « la sédentarisation de la population » : la mise à prix des maisons (six unités au total sur du terrain faisant l’objet d’une emphytéose) de la rue Ménager au Pfaffenthal a démarré à 430 000 euros et les enchères ont dépassé pour certaines la barre des 500 000 euros, ce qui va au-delà des prix du marché compte tenu des contraintes et de la nature des baux sur le foncier.
Les 283 hectares de la région centre-sud, soit trois fois l’étendue de Esch, devant se prêter à des projets pilotes d’envergure se situent pour l’essentiel au Kirchberg, notamment sur les champs situés derrière le siège de la CLT. Une autre grosse partie est à Bonnevoie.
Propriétaire des terrains, le Fonds Kirchberg, qui n’a aucune vocation sociale, prévoit de faire développer dans ce quartier, sur des terrains situés en face de la Coque, un ensemble de 460 logements, dans lesquels une trentaine de maisons ; l’ensemble pourrait d’ailleurs être pris en main par la Société nationale d’habitation à bon marché qui développe déjà dans le quartier du Grünewald un autre projet de 124 logements (vingt seulement à la location).
Les plans d’urbanisme devant servir de base à l’élaboration de plans d’aménagement particuliers (PAP) viennent seulement de démarrer, c’est dire que la sortie des pelleteuses n’est pas pour demain, avec un horizon de construction à 2030, où le quartier du Kirchberg devrait compter quelque 13 400 résidents, contre 2 400 actuellement. Plus de 51 000 personnes y travailleront à l’horizon 2020, contre 31 500 aujourd’hui. Au stade actuel, nul ne sait d’ailleurs quelle sera la vocation des logements qui sortiront de ce projet : sociale uniquement ou mixte ? C’est dire le flou qui entoure le plan logement du gouvernement, son calendrier et sa faisabilité tant finacière que sur le plan des infrastructures.
Pour lancer sa « politique foncière active » et tenter « d’impacter sensiblement l’offre et les prix des logements sur le marché », le gouvernement n’a pas seulement besoin de s’appuyer sur les communes et sur les organismes publics comme le Fonds du logement et la Société nationale d’habitations à bon marché (une fusion des deux entités dans la nouvelle enveloppe de la Société de développement urbain est d’ailleurs dans les cartons du ministère). Il lui faut aussi travailler avec les promoteurs privés, qui n’ont jamais caché leur intérêt de prendre une part du gâteau.
Or, la démarche initiée par la Chambre immobilière au début de l’année pour faire participer le secteur privé au « Pacte social » et financer les besoins des logements locatifs à des prises non-rédhibitoires et surtout « casser » le monopole public dans ce domaine n’a pas eu le répondant souhaité de la part du gouvernement. Si le ministre du Logement a fait pendant des mois la tournée des popotes dans les communes pour « vendre » le plan sectoriel logement et tester le terrain auprès des édiles pour déterminer leur volonté ainsi que leur capacité à accueillir des projets pilotes. Mais il a complètement négligé d’associer le secteur privé à ses démarches. Pour autant, la Chambre immobilière n’a pas chômé en affinant les propositions destinées à combler le vide sur le marché locatif moyenne gamme et financer un programme grâce à la solidarité de la population : l’une des propositions les plus crédibles étant la mise en place d’un « livret vert » qui permettrait de lever une épargne défiscalisée jusqu’à un certain plafond en direction du logement social.
Parallèlement, les communes ont pris des initiatives destinées à freiner la spéculation immobilière : Esch a ouvert le bal vendredi en adoptant une taxe sur les bâtiments non occupés et la ville de Luxembourg devrait suivre l’exemple. À quand des « contrats » sur les terrains inoccupés qui permettraient à l’État, à l’instar de ce qui se pratique déjà en Autriche, de les préempter dans les cas où ils ne seraient pas viabilisés par leurs propriétaires endéans les deux ans ?