À Kaundorf, dans le Nord du pays (commune du Lac de la haute-Sûre), comme dans d’autres communes luxembourgeoises, la nouvelle et très complexe réglementation de 2004 sur l’aménagement du territoire ne s’applique pas, faute d’une refonte du plan d’aménagement général (PAG). Du coup, un gros projet de lotissement par un promoteur privé, PM Promotion à Pétange, portant sur 50 maisons d’habitations individuelles ou bi-familiales à l’est de la localité, devrait se faire selon la vieille loi de 1937, contre l’avis du ministre de l’Intérieur et de la Grande région, Jean-Marie Halsdorf, CSV, qui exigeait des autorités communales qu’elles se plient à la procédure très lourde et tatillonne de la loi du 19 juillet 2004. Jean-Marie Halsdorf vient de perdre une bataille devant la Cour administrative.
Par délibération prise à l’unanimité des membres présents, le conseil communal du Lac de la Haute-Sûre reclasse le 2 juillet 2009 l’ensemble des terrains en les faisant passer de zone d’aménagement différée à zone d’habitation soumise à un PAP, étape préalable avant la délivrance de permis de construire.
Le 6 septembre 2010, le collège échevinal entame le projet d’aménagement particulier, qui sera provisoirement adopté par le conseil communal le 24 janvier 2011 à l’unanimité des voix. Le dossier est transmis au ministre de l’Intérieur. Le 30 mai 2011, Jean-Marie Halsdorf refuse d’approuver la délibération sous prétexte d’une violation des procédures relatives aux modifications des plans d’aménagements généraux. « La décision de lever le statut d’aménagement différé, explique le ministre, nécessite une délibération motivée du conseil communal ». Il soutient par ailleurs qu’en raison du caractère rural de la localité de Kaundorf et de l’envergure du projet, « il s’impose de prévoir un phasage aux critères stricts des fonds à lotir ». En clair, il demandait à la commune de repasser par une procédure de modification de PAG, ce qui prend évidemment du temps et de l’argent, avant de procéder à la sortie des terrains de la zone d’aménagement différé.
La « pression démographique » aurait poussé le conseil communal à l’affectation des terrains litigieux à l’habitation. Mais comme l’a relevé aussi le gouvernement lors de la procédure contentieuse, le ministre de l’Intérieur avait également approuvé en 2008 dans la même commune un autre PAP portant sur un hectare (du logement subventionné), sur lequel aucune construction n’a encore été réalisée. De plus, a encore soutenu l’État, vouloir aboutir à une maîtrise des prix des logements, comme le prévoit le « Pacte logement », ne justifie pas les violations des procédures sur l’aménagement du territoire.
Rien donc ne fera bouger par la suite la position de Jean-Marie Halsdorf, ce qui poussera la commune à saisir la Cour administrative pour faire annuler la décision du 30 mai 2011 « pour illégalité des motifs invoqués », « erreur d’appréciation » et « caractère disproportionné ». Les édiles sont d’avis que la sortie du statut d’aménagement différé ne requiert pas de modification du PAG (qui avait été approuvé en 2007 par le ministre de l’Intérieur sur avis de la commission d’aménagement), les règles d’utilisation des terrains du lotissement ayant été fixées au préalable par ce PAG. La délibération communale du 2 juillet 2009 est suffisante, aux yeux des édiles, pour asseoir la légitimité du projet de lotissement. Ce qu’a bien sûr contesté la partie étatique.
Dans la procédure, l’État a considéré qu’une absence de modification du PAG « reviendrait à laisser des zones dépourvues d’affectation, sinon à les ramener à la ‘zone verte’ », au risque autrement d’autoriser une commune à « fixer arbitrairement l’affectation des terrains à travers une simple délibération du conseil communal ». En gros, un reclassement sans passer par la lourde procédure administrative instaurée en 2004 avec la loi sur l’aménagement du territoire.
Ce serait, pour le gouvernement, mettre en « échec » l’ensemble de la lourde procédure mise en place par la loi du 19 juillet 2004 sur l’aménagement communal et le développement urbain, laquelle accorde « une place importante à l’enquête publique ».
Les responsables communaux se sont interrogés sur les motivations de Jean-Marie Halsdorf, puisque le Lac de la Haute-Sûre ne serait pas la première commune du grand-duché à avoir fait l’impasse sur une modification du PAG : « Des zones d’aménagement différé réglementées de la même manière que celles du PAG de la commune du Lac de la Haute-Sûre, a soutenu la commune devant la Cour administrative, se trouveraient dans les PAG de nombreuses autres communes sans que leur légalité ne semblerait avoir été mise en doute jusque lors ».
En se penchant sur le dossier pour pouvoir l’arbitrer, les juges de la Cour administrative se sont rendus compte que la PAG de Kaundorf n’avait pas encore connu de refonte en vertu de la loi du 19 juillet 2004 et qu’il relevait de ce fait de la procédure prévue par la loi du 12 juin 1937 sur l’aménagement des villes et autres agglomérations. Et que le PAG de l’ancien empire, « suite à des vicissitudes d’ordre procédural et juridictionnel » ne reçut l’approbation du ministre qu’après l’entrée en vigueur de la loi du 19 juillet 2004. Compte tenu de l’incompatibilité du cadre législatif de 1937 avec les lois et règlements de 2004, le ministère de l’Intérieur et la Grande région ne pourrait exiger le respect de la procédure nouvelle formule, les juges, pragmatiques, estimant qu’on ne pouvait pas « mélanger les pommes avec les poires » et qu’il convenait d’éviter « tout mélange des genres ». Et la Cour administrative de rappeler au gouvernement que « la plupart des PAG actuellement en vigueur ont été élaborés sous l’ancienne loi du 12 juin 1937 et ne suffisent, par la force des choses, pas encore aux exigences de la législation nouvelle ». Le législateur ayant lui-même prévu un délai de mise en conformité des PAG relevant de l’ancien empire, cela veut dire « implicitement », selon le raisonnement de la juridiction administrative, « le maintien des PAG communaux dans leur ancienne mouture conforme à la loi du 12 juin 1937 jusqu’à cette refonte ».
En annulant la décision du ministre Jean-Marie Halsdorf et en lui renvoyant le dossier, la Cour a jugé « suffisante » la délibération du conseil communal de 2 juillet 2009 pour sortir les terrains de la zone d’aménagement différée. La motivation fournie par les édiles à la base de cette décision s’avère elle aussi valable : il s’agissait de créer des terrains constructibles pour y faire pousser des logements et répondre à une demande largement supérieure à l’offre, même dans une commune aussi éloignée de la capitale que Kaundorf.