Le promoteur Guy Rollinger serait-il aussi incontrôlable que le sont l’évo[-]lution du projet de stade de football de Livange et celle du dossier de Wickrange ? La sortie de piste du promoteur le 10 mai, avec l’envoi d’un communiqué de presse annonçant son intention d’introduire une action en justice contre Flavio Becca, l’un des principaux instigateurs du projet de stade de football flanqué d’une zone commerciale à Livange, pour « non respect de ses engagements » envers le Groupe Guy Rollinger (GGR), a jeté le trouble, faisant s’interroger sur les raisons qui ont poussé cet imprévisible entrepreneur à s’attaquer à Becca. Ce dernier indique d’ailleurs dans un communiqué, publié deux jours après celui de GGR, attendre plutôt « sereinement » l’assignation par l’huissier de justice et signale aussi à son contradicteur qu’il se trompe de cible. C’est, selon lui, l’État luxembourgeois que Guy Rollinger devrait attaquer en justice ou, à tout le moins, exiger des autorités des compensations pour le projet de Livange qui pourrait ne pas se faire. Les engagements du gouvernement en faveur du stade de football et du centre commercial dans la lettre d’intention du 22 mai 2009 révélée à la presse, mentionnent explicitement cette option en cas d’abandon. Reste à déterminer la valeur juridique d’un engagement politique. Sur ce point, il y a débat.
Les frasques de Guy Rollinger ont en tout cas relancé la polémique sur le plan politique. L’homme sait difficilement se taire, au point d’avoir placé la semaine dernière dans l’embarras jusqu’à ses nouveaux partenaires en affaires dans le projet de Wickrange, qui ne souhaitent pas jouer les fanfarons, du moins jusqu’à ce que tous les signaux passent au vert et que plus rien ne puisse venir troubler le cours du projet relooké de centre commercial doublé d’une zone artisanale, d’espaces de bureaux et de logements. Car, on l’a un peu oublié : parallèlement à sa participation à Livange Development aux côté notamment de Flavio Becca, Guy Rollinger poursuit ses plans à Wickrange, le projet ayant été amputé de quelque 22 000 mètres carrés de surfaces commerciales qui sont allées se greffer autour du complexe sportif, volontiers surdimensionné pour attirer au Luxembourg des consommateurs grand-régionaux. La société de développement de Livange s’est toutefois engagée à revoir à la baisse les espaces dédiés au commerce. Le nouveau projet n’a pas encore été pré-senté et on s’interroge sur ses chan-ces de l’être compte tenu du virage à 180 dégrés du gouvernement, passé du soutien presque inconditionnel à Livange à l’abandon de ses engagements à financer l’infrastructure publique (Land du 4 mai).
Interrogé par le Land sur l’avancée du projet de zone mixte à Wickrange, l’entrepreneur Roland Kuhn, tout en reconnaissant y participer, s’est montré assez évasif : « Dès que les plans seront prêts, nous lancerons le projet, » a-t-il dit. Le masterplan de l’ensemble a été approuvé par le conseil de gouvernement en 2010, dans le sillage de celui de Livange. Roland Kuhn n’a pas souhaité s’exprimer sur le niveau de sa participation détenue dans le nouveau projet de Wickrange, ni celle de l’entrepreneur Giorgetti qui y est également associé, les deux groupes détenant chacun 50 pour cent des parts de la société de développement de Wickrange, aux cotés de GGR, qui en a le solde.
D’ordinaire si bavard, Guy Rollinger a observé le silence radio cette semaine. Il n’a répondu à aucune des sollicitations pourtant nombreuses des journalistes, dont celles du Land, pour lui faire préciser, ou à l’un des représentants de son groupe, ce qu’il entend par la « forte invitation » prétenduement subie pour qu’il renonce à la réalisation de son projet de centre commercial à Wickrange. Et les non moins fortes sollicitations qui l’ont poussé à rejoindre le projet de stade de football et d’outlet à Livange. Guy Rollinger est-il bien placé pour se poser en victime, comme il le fait dans son communiqué de presse, car il a joué sur plusieurs registres ?
Sponsorisé par le gouvernement Juncker, l’échange entre Wickrange, ancienne mouture, qui disposait de toutes les autorisations nécessaires pour être lancé (et profitera du nouvel échangeur de Pontpierre, d’ailleurs non concerné par le gel des dépenses), et Livange a porté sur un total de 22 000 mètres carrés. Cette surface représente le différentiel entre ce qui ne se ferait pas à Wickrange, du point de vue commercial, et ce qui pouvait se greffer autour du stade de football de Livange pour assurer une viabilité financière au complexe sportif, jugé d’intérêt national. Cet apport en nature de GGR, « fortement invité » à accepter la transaction, a été valorisé, selon des sources proches du dossier, aux environs de 21 millions d’euros. Une valeur théorique, bien sûr, calculée sur la base du projet de stade et outlet « clefs en main », c’est-à-dire une fois toutes les autorisations obtenues (dont la modification du Plan d’aménagement général au niveau de la commune de Roeser). Guy Rollinger n’aura d’ailleurs le chèque que si le PAP est accordé. Ce qui est un des points litigieux et doit faire l’objet d’un référendum dans la commune. La convention entre Becca et Rollinger est donc assortie de conditions suspensives : la valorisation est indissociable du feu vert au projet de Livange. Qui a désormais du plomb dans l’aile depuis que, successivement, le ministre des Finances, Luc Frieden, CSV, et le Premier ministre Jean-Claude Juncker, CSV, eurent décrété le sacrifice des investissements publics sur l’autel de l’austérité budgétaire. Il n’y aura, a tranché Jean-Claude Juncker la semaine dernière dans la déclaration sur l’état de la nation, aucun investissement public à Livange : donc pas d’échangeur ni les trois bandes de l’autoroute A4, pas plus qu’une halte ferroviaire. Ces investissements ne seraient pas indispensables à la poursuite du projet, fait-on savoir dans l’entourrage de Flavio Becca. En tout cas, le Premier ministre ne s’est pas montré particulièrement élégant en laissant ainsi tomber le promoteur.
L’opposition libérale ne s’est pas faite prier ce mardi pour redonner du souffle au débat sur le plan politique, en demandant au ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Halsdorf, CSV, de s’expliquer une nouvelle fois sur l’influence dont le gouvernement aurait usé, notamment auprès des banques, pour privilégier l’évolution du projet de Livange au détriment de celui de Wickrange.
Il n’y avait rien de nouveau dans les réponses que Jean-Marie Halsdorf a apporté aux députés : Son discours mardi fut convenu, le ministre se contentant de paraphraser les déclarations que fit, fin 2011 à la Chambre des députés, le Premier ministre. Il n’y a eu aucune pression du gouvernement pour pousser Guy Rollinger dans les bras de Flavio Becca, a martelé Halsdorf. Le ministre a quand même donné l’impression de se retrancher derrière Jean-Claude Juncker, en le mettant en première ligne. On ne peut se défaire, devant les déclarations de bonne foi des représentants du gouvernement et les menaces à peine voilées de Guy Rollinger, du sentiment qu’on cache l’essentiel.
Selon les termes du communiqué du 10 mai de GGR, l’ « abandon » du projet de Wickrange a causé à cette entreprise « une perte et un manque à gagner très importants ». Comme si le promoteur avait signé la convention d’échange avec Becca avec un couteau sous la gorge et « uniquement pour tenter de récupérer une partie de cette perte » (sur Wickrange).
La réalité est bien différente. La lecture des échanges de couriers, certains officiels et d’autres qui le sont moins, font d’ailleurs se demander qui, du gouvernement ou du promoteur, a fait le plus de pression sur l’autre lors de la transaction débouchant sur le parachutage de GGR à Livange.
Le projet de Wickrange fut donc initialement développé à parité entre Rollinger, propriétaire des terrains, et la société ING Real Estate, dont on dit qu’elle avait obtenu l’autorisation pour 11 000 mètres carrés, sans pour autant disposer du foncier pour aller dessus, d’où son rapprochement avec Rollinger. et un doublement des surfaces L’envergure du projet comportait déjà des flous au départ : Les surfaces déployées portaient sur plus de 57 222 mètres carrés et non pas 38 166 officiellement comptabilisés (une surface de plus de 19 000 mètres carrés enterrée ne fut pas prise en compte pour des raisons techniques). Le projet fut toutefois une première fois amputé. Malgré une autorisation délivrée en août 2007 par le ministère des Classes moyennes pour un peu plus de 22 000 mètres carrés, le projet de centre commercial capota pour sa non-conformité au regard des règles de l’aménagement du territoire. On connaît la suite : ING Real Estate s’en retira et le centre commercial céda la place à un projet mixte mêlant sur 49 785 mètres carrés des surfaces commerciales, d’immeubles de bureaux et de logements. Au groupe bancaire se substituèrent les deux entrepreneurs bien en cour auprès du gouvernement : Kuhn et Giorgetti.
Quelles furent les conditions du retrait d’ING de Wickrange permettant à GGR d’avoir les mains libres pour aller flirter avec Becca ? Un chèque de dix millions d’euros que Guy Rollinger a payé au groupe bancaire après avoir âprement et longuement négocié un prêt de 16 millions auprès de la Banque et Caisse d’Epargne de l’État, révèlent des proches du dossier. Le prêt décroché au forcing est plus élevé que ce qui fut nécessaire pour « indemniser » ING. Le surplus a surtout permit au groupe Rollinger de faire face à des difficultés passagères de trésorerie et rembourser des dettes bancaires sans avoir forcément de liens de parenté avec Wickrange. À cette époque, GGR estimait la valeur de ses terrains de Wickrange entre 32 et 36 millions d’euros. Des sources concordantes indiquent que GGR a d’abord fait un virement de deux millions à la banque Degroof pour couvrir son compte courant puis un autre à Dexia et un troisième à la BCEE.
Devant les lenteurs avec lesquelles il jugeait que son dossier de demande de prêt assorti d’un nantissement et d’un taux réduit évoluait auprès de la Spuerkeess, Guy Rollinger n’hésitera pas à rouler les mécaniques face aux officiels, se targuant notamment de ses entrées directes auprès du Premier ministre. Dans un courriel de la fin du mois de novembre 2010 que le Land a pu consulter, Guy Rollinger menace ainsi un des intermédiaires avec le gouvernement, de prendre directement contact avec Jean-Claude Juncker pour le cas où son prêt à la BCEE ne serait pas débloqué dans les prochains jours. Le chef du gouvernement aurait ainsi assuré, yeux dans les yeux à Guy Rollinger, qui s’en vante dans l’une de ses communications consultées par le Land, qu’il avait donné sa parole et fait une promesse qu’il tiendrait à cent pour cent.
Les relations épistolaires entre Guy Rollinger et les officiels posent désormais plus clairement la question du rôle des représentants du gouvernement pour aider GGR à obtenir un financement auprès de la BCEE, banque à cent pour cent publique. Les standards de gouvernance en matière de calcul de solvabilité pour l’octroi de crédits semblent bel et bien avoir été mis à mal, si l’on s’en tient à la version de Guy Rollinger. Les dénégations du ministre des Finances Luc Frieden et du patron de la BCEE Jean-Claude Finck lorsqu’ils furent « cuisinés » fin 2011 par les membres de la commission parlementaire de contrôle de l’exécution budgétaire sur des soupçons d’ingérence dans le financement des dossiers Livange et Wickrange prennent désormais une autre dimension.