Le curateur vedette, Hans Ulrich Obrist, qui vient de sortir son autobiographie Une vie in progress (édition du Seuil), proposait au Centre Pompidou-Metz une « conférence-marathon » sur le thème des jeux vidéos dans le cadre de l’exposition Worldbuilding, jeux vidéo et art à l’ère digitale dont il est le commissaire. Revue des rituels et œuvres chers au curateur.
Cette « conférence-marathon » était calquée sur d’autres du même modèle, notamment celle organisée à Pékin pour la Saint-Sylvestre en 2008 où Hans Ulrich Obrist réunissait des personnalités du monde de la culture et des professionnels des médias sur l’état post-olympique de la ville et les changements actuels de la société chinoise. Réunissant près d’une cinquantaine d’artistes, intellectuels, scientifiques ou gamers, les questions de narration, de création de mondes, de fiction, de réel, de temps, de poésie, de jeu et de mythologie ont été abordées. C’est donc un objet singulier que cette « conférence-marathon », mais pas le moindre de ceux que le commissaire d’exposition est habitué à mettre en scène hors des sentiers classiques de l’art contemporain.
La narration, la possibilité du récit offerte sous forme d’accomplissement et les récits de l’art passionnent Hans Ulrich Obrist qui n’hésite pas, depuis ses débuts, à décadrer le sacré muséal. Il en va de cette toute première exposition organisée par l’artiste dans sa cuisine, suggestion de Christian Boltanski comme il le raconte dans Une vie in progress. En 1991, cette première exposition voit le jour dans son appartement à Saint-Gall. Fischli & Weiss, Christian Boltanski, Richard Wentworth et Frédéric Bruly Bouabré y sont exposés. Les sculpteurs Fischli & Weiss décident d’acheter « cinq bouteilles de ketchup, quelques kilos de nourriture, des très grands paquets destinés aux restaurants, et ils ont mis tout cela dans le placard au-dessus de l’évier » raconte-t-il encore. Preuve que l’art se niche aussi là où on ne l’attend pas et que les objets mis en scène et la conduite du récit s’y attachant peuvent être résolument inattendus.
À l’instar de cette invitation du Centre Pompidou-Metz à se saisir des rapports entre art et jeu vidéo. Hans Ulrich Obrist remarque à ce sujet que ce hobby est devenu « le plus grand phénomène de masse de notre époque. […] Les jeux vidéo sont au 21e siècle ce que les films étaient au vingtième siècle et les romans au 19e siècle ». Un certain nombre d’artistes réfléchissent aux rapports entre jeux vidéo et art dont Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Huyghe ou Philippe Parreno qui matérialisent personnages et statut d’image au travers de la vidéo No Ghost Just A Shell. Pierre Huyghe et Philippe Parreno achètent en 1999 les droits d’un personnage de manga qu’ils baptisent Ann Lee. Cette dernière relate, sous la forme d’une animation en 3D, les circonstances de son « adoption » par les artistes et évoque son statut d’image. Huyghe et Parreno proposent ensuite à de nombreux amis artistes de produire chacun, avec Ann Lee, une forme qui serait un catalyseur pour l’œuvre suivante.
Un autre objet singulier, c’est également ce que propose l’œuvre Terraforming CIR de Transmoderna. Ce collectif travaille à la jonction de la musique électronique et de l’art numérique. Terraforming CIR invite à un voyage vertigineux en réalité virtuelle sur une planète extraterrestre du futur. Des artefacts technologiques suggèrent que des humains ont tenté de la rendre semblable à la Terre. Sur les ruines de ces colonies humaines avortées, des sociétés post-Homo sapiens prospèrent. Transmoderna montre ainsi que la notion de « worldbuilding » dépasse le genre humain. Au travers de ces objets singuliers, Hans Ulrich Obrist propose une plongée singulière dans la construction de mondes particuliers et les récits de l’art.