C’est sans doute une banalité de dire que les œuvres d’une exposition atteignent, des fois altèrent les espaces où elles sont présentées. Dans une mesure non moindre, que la chose se fait aussi en sens inverse. Et les deux constatations s’imposent avec l’exposition de David Tremlett chez Ceysson & Bénétière, au Wandhaff, jusqu’au 15 juillet. Si la galerie nous a habitués à des expositions plus spectaculaires, frappant la vue dès l’entrée, peintures énergiques, suggestives, ou sculptures vives et animées, tout se passe cette fois-ci comme si les espaces s’étaient encore agrandis. Ils se trouvent moins encadrés par les œuvres qui, elles, pour la plupart ne nous assaillent guère. Ni par les dimensions ni par les formes ou couleurs. Il est quand même une vision d’ensemble qui s’impose, trois quatre, voire cinq sections, cela signifie que le visiteur doit faire le chemin à son tour, s’approcher de plus près de tels papiers, c’est en effet de ce matériau qu’il s’agit, et de son traitement au pastel et au graphite.
Voilà pour commencer une particularité à noter de cet artiste et de l’exposition. Certains seraient tentés de reléguer le pastel surtout à ses heures de gloire, en gros des 18e et 19e siècles. Quand Jean Clair en a fait l’éloge dans ses Considérations sur l’État des Beaux-Arts, a appelé à son retour, c’est bien en relation avec sa critique de la modernité, il n’entrait guère dans ses vues un usage contemporain. Or, c’est cela qui se passe justement avec David Tremlett, qu’on pourrait situer dans une mouvance minimaliste, voire conceptuelle.
L’artiste voyage beaucoup, les titres des œuvres y renvoient souvent, mais ça s’arrête là. Les formes des dessins vont vers l’abstraction, souvent de tradition géométrique, lui-même soulignant dessiner des pensées, des idées, d’où qu’elles puissent venir. Ainsi, il est une certaine rigueur dans ces œuvres, atténuée ou contrecarrée par le jeu des variations. Ailleurs, les formes deviennent plus irrégulières, ou se font plus vivantes, même si elles restent dans un domaine architectural ou constructiviste, se rapprochent alors d’un labyrinthe, pour prendre à d’autres endroits carrément allure plus animale.
C’est le cas par exemple de deux à trois papiers parmi les plus grands qui dépassent les deux mètres. Et David Tremlett nous assure de son ambition à ce sujet, et les dessins muraux, les pastels monumentaux ne manquent pas dans son parcours artistique, de telle chapelle dans les vignes de Barolo à la salle d’attente des urgences de l’hôpital de Nice. Au Wandhaff, vous irez dans la salle au fond à droite, vous y serez confrontés à une œuvre plus grande encore, 450 cm x 995 cm, dirait-on une sorte d’amibe prenant tout un côté, avec ses contours mangeurs de micro-organismes. Mais même là il faut aller voir de près, c’est l’avantage des œuvres qui ne sont pas sous verre, quasiment en parcourir, palper des yeux la surface, comme on le ferait des mains.
Car les œuvres de David Tremlett vivent de leur propre vie, faite des pigments, et l’on ne se lasserait pas d’en saisir la texture. De suivre les lignes, qui semblent bouger, et à l’intérieur des surfaces, de s’attarder aux nuances. Ce qui à la fin caractérise la manière de David Tremlett, c’est cette tension qui existe entre les figures, dans leur présence, et la légèreté, la délicatesse dont elles se détachent. Le propre d’ailleurs du pastel, au départ de la poudre fragile, au bout de l’œuvre d’art une vérité certes sensible, mais exigeante et forte.