On connaissait le film italien réalisé en 2013 par Fabio Grassadonia et Antonio Piazza sur un mafieux surnommé Salvo. Mais très peu de choses en revanche concernant le peintre Salvatore Mangione (1947-2015), dit aussi Salvo, diminutif typiquement sicilien dont il signe ses toiles et auquel la galerie Vis-à-vis (Metz) consacre une exposition monographique. Dans sa première période conceptuelle, influencée par l’Arte Povera et quelques ambassadeurs américains comme Sol Le Witt et Joseph Kosuth, Salvo est allé jusqu’à se contenter de représenter son propre prénom aux couleurs du drapeau italien (Tricolore, 1973). Les lettres, cousues sur la toile, l’occupent alors davantage que le fait de peindre à proprement parler ; on lui doit notamment, dans le même registre « lettriste », tout un ensemble d’œuvres reprenant, avec ironie, la graphie des stèles funéraires. Ainsi de cette épigramme gravée dans le marbre, intitulée L’uomo che spacco la statua del dio (L’homme qui a brisé la statue du dieu, 1972) : « Un uomo aveva un dio di legno e lo scongiurava di fargli del bene ma piu pregava e più era povero. Allora adirato si prese la statua e la sbatté contro il muro : fracassatasi immediatamente ne rotolarono fuori delle monete d’oro. (Un homme avait un dieu en bois et le suppliait de lui faire du bien, mais plus il priait, plus il s’appauvrissait. En colère, il prit la statue et la frappa contre le mur : elle se fracassa aussitôt et des pièces d’or en sortirent). Autre aspect permettant de situer le travail de Salvo : ses cartes de Sicile griffonnées d’illustres noms de compatriotes (Sicilia, 1975), d’Empédocle à Archimède, lesquelles peuvent être rapprochées d’Alighiero Boetti et de ses planisphères brodés (Mappa). Né à Leonforte en 1947, Salvo décline dans son œuvre son amour pour la Sicile.
Puis vient au milieu des années 1970 le grand basculement pour Salvo, qui passe du minimalisme conceptuel à la tradition figurative, de l’appartenance à un collectif à un travail mené dorénavant en solitaire. Un choix courageux qui contribua cependant à le marginaliser, puisqu’appartenir à un groupe – en l’occurrence le cercle turinois de l’Arte Povera représenté par Merz, Boetti, Penone… – permet de bénéficier d’une protection, d’accéder à une forme de lisibilité dans l’espace public, de disposer d’une force de pénétration de la sphère médiatique. Alors qu’il rejoint la ville de Turin avec sa famille à la fin des années 1950, comme tant d’Italiens provenant du Mezzogiorno, son œuvre s’origine encore en partie dans sa terre natale. On reconnaît par exemple les vestiges des temples grecs d’Agrigente dans ses Cavalieri tra le rovine (1976) ainsi que dans cette lithographie exposée à Metz (Paesaggio con colonne, 1990). On devine d’autres lieux encore à certains détails : ainsi de ses crètes enneigées qui peuvent se référer à la région de Turin (Nevicata, 1990) ou de ce minaret aperçu sans doute au cours d’un voyage à Oman (Il Minareto, 1990). Pourtant, les vues extérieures de Salvo, quand bien même elles semblent produites à ciel ouvert, ne se veulent aucunement réalistes. Bien au contraire, elles entretiennent le mystère sur la présence objective ou fictive de leur référent ; si des lieux réels semblent bel et bien lui servir de base, les couleurs comme les jeux de lumière, souvent complexes, s’en éloignent pour relever davantage de la magie. Ce qui a trait à la culture, à la production proprement humaine, est délimité par des segments rectilignes ; tandis que ce qui a trait à la nature se déploie plutôt à travers des lignes courbes, rondes, voluptueuses, pour donner corps à un grand chant païen.
C’est sur cette ultime période du cheminement artistique de Salvo que se focalise l’exposition messine à travers un ensemble de gravures et de dessins se faisant échos (la figure étoilée du palmier, telle une chevelure ébouriffée, y est notamment récurrente). Une eau-forte représentant un cargo à quai nous rappelle que Salvo est aussi un magnifique rapporteur d’anecdotes sur la vie urbaine et ouvrière — même si cette gravure est malheureusement la seule à aborder cet aspect de son œuvre pictural. Le parcours se termine en réunissant un ensemble d’artistes italiens : le Napolitain Lucio Del Pezzo, Bruno Munari, Piranèse, mais aussi le designer Ettore Sottsass Jr et ses vases érigés en élégantes et singulières sculptures.