Un soleil resplendissant, jetant ses rayons dans toutes les directions, illumine l’étage, irradiant dans les coins et recoins de la Konschthal Esch. C’est dire d’emblée l’éclat de l’exposition de Tina Gillen, légèreté aussi telle qu’elle est annoncée ou suggérée du moins dans le titre de Flying Mercury. Chose plus essentielle toutefois, son aménagement, son adaptation aux difficiles conditions de présentation inhérentes à l’architecture. Et celles et ceux qui ont connu la participation de Tina Gillen à la toute dernière biennale de Venise se trouveront en partie en terrain familier, en partie seulement, car déjà le soleil accueillant répand une tout autre lumière.
On reviendra sur ces conditions, elles participent au processus même du travail de Tina Gillen. Attachons-nous d’abord à ce que les images disent autrement, une dialectique qui parcourt tous les espaces, peintures au-dedans et au dehors, habitat si l’on veut et paysage, et pour la peinture elle-même, sa manière, son style, entre figuration et abstraction. Après le faisceau solaire, notre œil va directement à une image s’apparentant à quelque carte postale, ailleurs il s’arrête à des cabanes, voire carrément une construction moderniste. Ainsi, il lui arrive de s’enfermer d’une certaine façon, s’évade aussitôt, dans des lointains, les uns nous faisant entrer par exemple dans une forêt illuminée de rais, les autres élevant telle une barrière des masses de glace. Il est ce va-et-vient dans les images de Tina Gillen, et dans une salle qui nous arrête particulièrement, un entre-deux d’ouvertures, de fenêtres avec leur châssis, leur encadrement. Métaphore même de la peinture, on reste de justesse dans la figuration, mais Rothko est tout proche, une abstraction atmosphérique, éthérée.
Si Tina Gillen se passe de toute présence humaine dans ses tableaux, c’est qu’il nous appartient à nous de prendre place en face, de nous y glisser, de déambuler ou plus. Car c’est bien de notre monde, plus précisément de notre environnement qu’elle nous parle, au sujet duquel elle nous interpelle. Et là où sa peinture se libère des cimaises, pour passer dans telles constructions à la troisième dimension, le refuge en bois vu à Venise trouve ainsi son répondant à Esch au fond du rez-de-chaussée, avec une trappe qui permet le passage d’une personne, entrer ou sortir. N’est-ce pas comme l’invitation d’une halte, d’un moment propice à la réflexion ?
Ces habitations en bois sortent donc des peintures ; dès ses années d’études à Vienne, à la Hochschule für Angewandte Kunst, Tina Gillen avait jeté son dévolu sur les habitudes de logement, avait fait une série sur les maisons de quartiers pavillonnaires. Au-delà, il est ce qui fortement va impacter notre vie à l’avenir. Ce qu’il advient avec le changement climatique. Faut-il aller jusque-là dans la vision ou la lecture de tels tableaux, l’opposition des ciels, les uns froids, verts, bleus, les autres chauds, orange, rouges, dans l’ensemble des peintures Heat (2022).
À chacun d’y aller de sa propre interprétation. Ce qui ne trompe pas, c’est la maîtrise dans la démarche de l’artiste. Souvent à partir de photographies qu’elle a prises elle-même, ou extraites de diverses sources, elle puise de la sorte dans une riche archive d’images, transposées picturalement. Et les voici qui peuvent varier d’une exposition à l’autre, s’élargissant sans cesse. De la même manière expérimentale, Tina Gillen sait jouer des lieux de ses expositions. À l’Arsenale de Venise, il avait fallu faire dans la densité ; à la Konschthal Esch, ses différents niveaux, dans des espaces eux-mêmes variés, plus ou moins ouverts ou fermés, elle a saisi l’occasion d’une tout autre scénographie ; moment d’élargir son propos, de le déployer, en tenant compte avec sa curatrice Charlotte Masse des contraintes dans un bel équilibre.