« Maintenant, c’est la saison. Il y a beaucoup de commandes. » Dans leur atelier à Differdange, Yvlo77 et Sader préparent leurs projets. Entre les travaux pour la déco d’un restaurant et d’un salon de coiffure, les ateliers de jeunes et les expositions, les deux artistes issus du graffiti ne retrouvent en ce moment plus assez de temps pour les « dimanches de graffiti », journées entièrement dédiées à leur passion.
Si le vrai graffiti vient de la rue, le graffiti est aussi, depuis quelques années, devenu fréquentable. Cette acception sociétale et presque-institutionnalisation d’un art essentiellement libre peut aussi poser problème. Les commandes risquent d’enfermer l’artiste et sont souvent « du point de vue artistique, moins intéressantes » . Mais le graffiti n’est pas nécessairement contestataire. Pour Yvlo77, « il n’y a pas toujours un message, on peut aussi peindre pour le style, pour le trait et il y en a plein qui le font pour l’ego ». Le graffiti, « c’est aussi un jeu, une micro-société » dans laquelle on se définit les uns par rapport aux autres et chacun par son style. Ainsi, il y a un langage interne à la scène : pour Yvlo77, « c’est le tag – la signature – qui parle le plus, c’est ton trait qui te différencie ».
Sader, lui, il est plus politisé dans ses œuvres. « C’est notre rencontre qui m’a fortement marquée. Depuis, moi aussi, j’ajoute plus de messages », estime Yvlo. Les messages sont souvent influencés par l’actualité, mais il y a aussi des constantes, comme le souci de liberté, la répression, la société de consommation. Chez ces deux artistes engagés, le graffiti devient un « contre-média » , un médium alternatif d’expression. Ainsi, en octobre 2010, ils avaient apporté leur soutien à la manifestation contre la réforme des retraites à Metz avec une banderolle « Révolution sociale et libertaire ». Mais, tout dépend pour qui on peint : « Si, c’est une commande, je m’autocensure », avance Yvlo, « alors, je ne peux pas revendiquer ce que je ressens ». Ainsi, tout dernièrement, les deux artistes ont reçu une commande de l’administration des Ponts et Chaussés pour peindre le tunnel du glacis. Le résultat est figuratif : « c’est un compromis ; le figuratif est ce que les gens comprennent le mieux ».
« Vu l’endroit, un passage, on aurait pu faire du graffiti pur, mais on voulait montrer qu’on peut faire davantage. C’est de la déco avec la même technique. Le graffiti tel quel ne se vend pas, alors il faut s’adapter à la clientèle ». Des demandes pour des graffitis purs viennent de quelques particuliers, mais « c’est rare ». Satisfaits de pouvoir vivre de ce qu’ils aiment faire, Sader et Yvlo77 veillent à garder le fragile équilibre entre le passionnel et le professionnel, sans jamais entièrement négliger le côté engagé. En avril 2010, ils avaient peint sept grandes toiles pour deux expositions collectives en France, sur lesquelles ils reprenaient des couvertures de magazines people pour mettre à nu « la bêtise de notre société qui consiste à étudier la vie des autres ».Très terre à terre, Sader et Yvlo savent néanmoins d’où ils viennent. Ainsi, pour Yvlo, la peinture de toiles « perd en puissance » par rapport au graffiti pur, où le support, le mur, symbolise quelque chose de fort. Les deux artistes ne se limitent ni au graffiti ni à la peinture. Ainsi, lors de l’exposition du magazine IUEOA à Esch/Alzette en octobre 2010, ils avaient participé avec une impressionnante sculpture. Le Scheissburger, en gros un gigantesque sandwich de matériaux récupérés, se voulait une critique de notre société de consommation.
Leur complémentarité vient sans doute de deux parcours très différents. Yvlo a fait des études artistiques à Bruxelles, alors que Sader est autodidacte de la région de Metz. Depuis 2009, leurs travaux artistiques évoluent ensemble ou du moins parallèlement. S’ils se sont mutuellement influencés, ils ont aussi chacun gardé leur marque : « Qui nous connaît, reconnaît nos pièces et reconnaît les traits de l’un et de l’autre ». Ainsi, Yvlo77 explique que « Sader travaille beaucoup plus minutieux, plus exact et plus propre », alors que chez lui, « c’est plus sale, plus spontané » avec des traits qui « ressemblent à des esquisses ». Dans les couleurs aussi, chacun apporte sa touche : « Sader joue plus avec la lumière », alors qu’Yvlo77 ose utiliser des couleurs qui répugnent, « c’est en tout cas ce que me disent les gens ».
L’avenir ? Un éventuel projet de société pour « plus de stabilité et crédibilité » dans le travail. Sinon, la recherche constante d’un équilibre entre le casse-croute nécessaire et l’envie de « vivre le graffiti et son style de vie ».