d’Lëtzebuerger Land : Les derniers sondages ne sont pas bons... Selon la Sonndesfro réalisée par TNS-Ilres pour le Tageblatt entre novembre 2011 et fin mai 2012 et publiée la semaine dernière, le CSV perdrait en pour cent d’intentions de vote dans toutes les circonscriptions par rapport aux résultats des élections de 2009. Et le parti perdrait même trois de ses 26 sièges, un au nord, un au centre et un dans le sud. Cela inquiète-t-il le secrétaire général du parti ?
Laurent Zeimet : L’interprétation de ces résultats dépend aussi un peu du point de vue : si on les compare au dernier sondage du Tageblatt, il y a aussi des circonscriptions dans lesquelles nous gagnons quelques points de pour cent. C’est vrai qu’en comparaison des élections de 2009, on perd un peu, mais ce n’est pas vraiment inquiétant – car nos résultats de 2009 étaient extrêmement bons. Nous sommes en plein milieu d’une législature, donc cela n’étonne pas vraiment.
Oui, mais trois sièges, c’est plus de dix pour cent de votre groupe politique actuel – c’est beaucoup !
En considérant la situation politique et économique actuelle, on aurait pu s’attendre à pire. Nous estimons que la majorité au pouvoir au Luxembourg en ce moment garde la confiance des citoyens, ce n’est pas rien, en comparaison de ce qui se passe ailleurs en Europe. Puis on ne doit pas perdre de vue le phénomène du Parti pirate, nouveau sur le scène politique...
Est-ce que les pirates sont une concurrence pour le CSV ? Les craignez-vous ? Jusqu’à présent, on avait l’impression que les Verts étaient le parti qui réagissait avec la plus grande nervosité à l’arrivée de ce jeune parti.
On ne peut pas dire que nous soyons nerveux ou que nous les craignions, ça non. Mais il s’agit très clairement d’un phénomène qu’il faut observer, et je suis persuadé qu’un parti comme le nôtre doit aussi se consacrer aux questions qu’ils posent.
Comme Acta ?
Par exemple. Mais ce n’est pas une raison de paniquer pour autant.
Chaque semaine apporte son lot de nouveaux éléments concernant la gestion gouvernementale des projets de centres commerciaux à Wickrange respectivement Livange, une gestion dans laquelle la majorité CSV/LSAP se fait reprocher par l’opposition DP/Les Verts des pratiques douteuses, notamment des tentatives de corruption et de chantage. Reproches que le gouvernement balaya devant le Parlement mercredi. Quelles doivent être les suites de cette affaire ?
Cette polémique a bien sûr provoqué des questionnements publics sur de nombreux sujets qui attendent une réponse. Mais l’opposition doit être consciente qu’elle n’a pas rendu service à la cause publique en sortant l’artillerie lourde des reproches graves impliquant une suspicion généralisée dans le public – qui risque de se retourner contre eux aussi, je pense par exemple aux autorisations à bâtir douteuses accordées par l’ancien maire DP sur l’Eecherfeld...
Quels sont alors ces sujets à suivre ? Par exemple, comme se le demandait le Premier ministre, les relations de la politique au monde de l’économie ? Serait-ce une raison pour introduire ce code de déontologie pour les hauts fonctionnaires et les mandataires politiques qu’on discute depuis si longtemps ?
Disons que l’introduction de certaines règles ne serait pas malvenue... Je constate déjà, dans les mandats que j’exerce, qu’il y a beaucoup de situations dans lesquelles on a des doutes si quelque chose est acceptable ou pas. Par exemple, en tant que commune voisine du festival, nous venons de recevoir douze tickets d’entrée gratuite au Rock-A-Field à Roeser... Qu’est-ce que j’en fais ? J’ai décidé de les offrir aux collaborateurs de la commune. Tout comme je fais don aux caves communales de toutes les bouteilles que je reçois en tant que maire. Mais qu’en est-il des invitations à déjeuner ou à dîner émanant des entreprises qui ont un projet dans la commune et qui veulent en discuter ? Je décline toujours ces offres et les fait plutôt venir en réunion officielle à la commune. Mais ces exemples font légion. Je considère pour moi que dans ma double fonction, je dois être irréprochable !
Quelle est la place du CSV dans le spectre politique au Luxembourg à vos yeux ?
Au centre de la société. C’est du moins notre ambition, telle que nous l’avons définie dans notre programme fondamental de 2003 : « Volks[-]partei der sozialen Mitte » (un parti populaire du centre social). Je ne crois pas que beaucoup de choses aient changé à ça. D’ailleurs, nous allons faire un aggiornamento cette année pour analyser et discuter ce programme et éventuellement l’adapter là où cela s’avérerait nécessaire. Ces conclusions serviront de base à notre programme pour les législatives de 2014, dont nous allons définir les grands thèmes au courant de 2013.
Quel est votre objectif pour ces élections ? Vous avez affirmé dès votre élection au poste de secrétaire général, que vous alliez consacrer les deux prochaines années à la préparation de la campagne à ces élections. Voulez-vous dépasser les 38 pour cent de 2009, atteindre les 36 de 2004 ou seulement garder la marque des trente pour cent que le CSV a remportés en 1999 ?
Je ne vais pas avancer de chiffres à ce stade, parce que nous serions mesurés à ces chiffres en 2014. Mais notre objectif est de remporter ces élections, bien sûr, avec un résultat tel qu’aucune coalition ne soit possible sans nous. Ce parti a toujours beaucoup à apporter au pays, même lorsque les temps sont durs, nous ne prenons pas la fuite, mais nous sommes là pour assumer nos fonctions. En tout cas, nous voulons faire un meilleur résultat qu’en 2009, parce que nous sommes persuadés que le parti n’a pas encore atteint son zénith, après lequel il ne pourrait plus progresser.
Bien qu’ils soient un peu plus mitigés, les résultats des sondages indiquent quand même que le CSV ne ferait pas un si mauvais résultat. Nous revenons d’une tournée « CSV on Tour » dans les quatre circonscriptions, où nous sommes allés à la rencontre des citoyens, quelque 700 sont venus en tout, pour discuter des sujets de la Déclaration sur l’état de la nation. Nous ne craignons pas la confrontation avec les électeurs, bien au contraire.
L’année 2010-2011 était en quelque sorte une « annus horribilis » pour le CSV, avec le départ, par choix personnel, de Jean-Louis-Schiltz, ancien ministre et président du groupe parlementaire, et les décès des députés Mill Majerus et de Lucien Thiel. Vous en êtes-vous relevés ?
Le parti a d’abord dû se remettre de la perte humaine de ces deux députés décédés de manière tragique et inopinée. Et il faut laisser un certain temps aux jeunes députés Serge Wilmes (trente ans, ndlr.) et Tessy Scholtes (31 ans) de trouver leurs marques et connaître leurs dossiers. Le CSV compte ainsi les plus jeunes députés du parlement dans ses rangs, ce qui prouve qu’il continue son rajeunissement dans la continuité.
Avec vous, qui venez de Bettembourg, le président du CSV, Michel Wolter, député-maire de Käerjeng, et le président du groupe parlementaire Marc Spautz, originaire de Schifflange, les principaux postes stratégiques du parti sont occupés par des élus du Sud. Est-ce que les élections de 2014 se gagneront dans cette circonscription, contre Jean Asselborn, LSAP, et ne craignez-vous pas plutôt que le centre joue un rôle de plus en plus important, par le succès de Xavier Bettel, DP, deuxième politicien le plus populaire après Jean-Claude Juncker ?
Reste à voir si Xavier Bettel a des ambitions nationales ? Il avait dit dans une interview qu’il allait se concentrer désormais sur son mandat en tant que maire de la capitale... En tout cas, nous n’allons certainement pas laisser le centre orphelin, nous y avons aussi de bons politiques, comme notamment Luc Frieden ou Claude Wiseler. De toute façon, les élections ne se gagnent pas dans une seule circonscription, on doit les gagner partout. J’ai d’ailleurs affirmé lors de mon élection à ce mandat, lors du congrès du CSV en mars, que je n’étais pas le secrétaire général du Sud, mais pour tout le pays.
L’esthétique actuelle du parti, la couleur orange, le nouveau logo, la stratégie des « Juncker on tour », tout cela avait été mis en place par votre prédécesseur d’alors, Jean-Louis Schiltz, il y a une dizaine d’années. Allez-vous la changer et imprimer votre sceau à ce parti ?
Le secrétaire général n’est pas seul à définir le profil d’un parti ; Jean-Louis Schiltz ne l’a pas fait seul non plus. Il y a aussi un président, des organes décisionnels, des mandataires, des membres. Le candidat tête de liste, le programme, l’esthétique de la campagne – tout cela doit être un ensemble cohérent, qui fasse sens. Ce que je sais, c’est qu’un simple copier/coller ne serait pas une solution. Nous sommes en train d’y réfléchir.
On a un peu l’impression que la politique nationale, surtout au CSV, est toujours un peu entre parenthèses alors que le Premier ministre Jean-Claude Juncker est occupé à gérer la crise de l’euro et des finances publiques en Europe. Et tout le monde se demande sans cesse s’il reste ou s’il part vers un mandat européen. Est-ce que cela pèse sur la gestion du parti, par exemple de la part de ses dauphins ?
Nous sommes bien sûr avant tout très fiers d’avoir en nos rangs un Premier ministre dont on demande les compétences en Europe et dont beaucoup ne veulent pas se passer. Mais nous avons aussi besoin de lui au Luxembourg, et il s’y implique beaucoup. Il y a certes eu un parti avant Jean-Claude Juncker et il y en aura un après lui, mais nous sommes en train de préparer une campagne avec lui. Ceci dit, le CSV a beaucoup de membres et de mandataires très compétents.
Vous avez été un président du CSJ, les jeunesses chrétiennes-sociales, très combatif dans les années 1990, puis un chroniqueur politique au Luxemburger Wort à la plume acerbe. Aujourd’hui, vous discutez des tracés des routes ou de la gestion des eaux usées ou devez remettre des fleurs aux centenaires à Bettembourg ou résoudre les soucis des sections locales du parti... Après les grands discours, est-ce, à 37 ans, le test de la Realpolitik ?
On peut aussi changer des choses au niveau communal. Dans ma commune par exemple : elle avait été régie durant 24 ans par une majorité absolue du parti socialiste ! Nous devons réapprendre le dialogue dans notre coalition à trois, avec les Verts et le DP. C’est difficile, c’est un défi, mais on y arrive. Dans cette constellation, on ne peut pas simplement décréter les choses, mais on doit trouver les solutions en discutant ; c’est plus difficile et motivant à la fois.
J’ai encore mon dossier du CSJ de l’époque, en 1994, lorsque nous revendiquions « Frësch Loft ! » (« de l’air ! » ; Laurent Zeimet se lève et va chercher un dossier A4 avec de vieux autocollants du parti dessus, le feuillette...). Beaucoup de choses ont changé depuis lors, peut-être aussi parce que nous le demandions. Sans le CSJ, il n’y aurait pas de quorum dans nos statuts, une règle qui a contribuée largement à la féminisation de nos comités et de nos listes de candidats. En tout cas, oui, je constate tous les jours maintenant que faire des choses est plus difficile que de les commenter.
Vous n’étiez pas candidat aux législatives de 2009. Est-ce que le mandat de secrétaire général est un autre moyen pour devenir ministre, comme le sont devenus avant vous Claude Wiseler, Jean-Louis Schiltz ou Marco Schanck ?
Pas forcément. Le fait que je ne me sois pas porté candidat aux législatives de 2009 était un choix personnel : celui de me consacrer en priorité à mon métier de journaliste. Je voulais encore terminer mon mandat communal, puis on m’a proposé d’être tête de liste aux communales de 2011 – et tout s’est enchaîné, le changement devenait possible. C’était surprenant, en premier lieu pour moi-même. Puis j’ai été élu au poste de secrétaire général, ce qui n’était pas acquis non plus, il y avait d’autres candidats. Mais c’est un engagement que je fais avec enthousiasme parce que je suis persuadé qu’il y a un besoin de discussion au sein d’un grand parti comme le nôtre. Il nous faut des plates-formes de discussion, où les membres puissent s’impliquer dans la définition de notre ligne politique. Mais bien que nous travaillions aussi pour les membres du gouvernement, le parti n’est pas le gouvernement, et je ne suis pas le secrétaire général du gouvernement mais du parti. Ce sont deux choses distinctes. Je n’ai pas ma langue dans ma poche pour autant.