Facebook

Séparer le grain de l’ivraie

d'Lëtzebuerger Land du 02.08.2013

Ces derniers mois, les investisseurs ont renoué avec l’action Facebook, malmenée après son introduction en bourse mouvementée en mai 2012. De 38 dollars lors de son introduction, l’action avait dégringolé jusqu’à moins de 18 dollars en seprembre, avant de revenir à 26 dollars en mai dernier et de rebondir pratiquement jusqu’à son prix de lancement ces derniers jours. Ce retour en grâce semble refléter le succès de l’entreprise de Mark Zuckerberg dans sa « monétisation » de ses quelque 1,1 milliard d’utilisateurs, autrement dit en sa capacité de capture et de distribution de publicité. Mais ce qui a apparemment surtout séduit les investisseurs est que Facebook a réussi à livrer une bonne partie de ce volume de publicité aux utilisateurs mobiles du réseau social : 41 pour cent de son chiffre d’affaires contre 14 pour cent il y a un an.

Pour autant, la croissance de Facebook, tant en termes de nombre d’utilisateurs que de publicité, est-elle soutenable ? Dans Wired, Jeff Stibel a suggéré que l’entreprise avait bien raison de mettre l’accent sur ses versions mobiles, non pas tant pour y placer de la publicité, mais pour se donner une chance d’éviter ce qu’il appelle, de manière assez provocante, « une mort lente et douloureuse ».

L’argumentation de Stibel, spécialiste du cerveau, repose sur une analogie avec nos systèmes neuronaux et d’autres systèmes en réseau. « Tous les réseaux qui réussissent passent par un point de rupture – un moment où la croissance cesse ». Pour autant, l’interruption de la croissance ne signifie pas nécessairement l’échec du réseau. C’est le cas du cerveau, qui croît de manière spectaculaire, puis se rétracte, un process au cours duquel nous devenons intelligents. Internet est globalement sur le point d’atteindre ce point de rupture, affirme Stibel. Facebook est mieux armé que ses prédecesseurs MySpace, Classmates ou Friendster car il est constitué en tant que réseau de réseaux. Pour autant, il compte aujourd’hui pour chaque utilisateur moyen 262 « amis », soit davantage de connexions ce que qu’un cerveau normal est capable de gérer. Ce qui génère du ballast, sous forme de notifications inintéressantes qui encombrent l’utilisateur, lui font perdre du temps et menacent in fine le réseau social lui-même lorsque l’utilisateur, excédé, décide de clore son compte. Certes, Facebook a prévu cet écueil en installant toutes sortes de moyens, automatiques ou optionnels, de limiter le volume de ce ballast afin que les notifications se limitent à l’essentiel.

La raison pour laquelle ses applications mobiles ou ses versions maigres pour navigateurs de smartphones ont la capacité de sauver Facebook est que par nature elles limitent la quantité d’interactions offertes à l’utilisateur. Plus rustiques que la version pleine accédée depuis un navigateur, ces applications représenteraient donc une possibilité de salut pour le réseau social parce qu’elles améliorent l’expérience de l’utilisateur. Plutôt que de vouloir reconstituer à tout prix les possibilités de sa version pleine, Facebook ferait donc bien de constituer ses versions mobiles de façon à permettre à ses utilisateurs de se concentrer sur ce qui compte vraiment, en renforçant les relations importantes et en retirant le grain de l’ivraie. Facebook devrait le faire partout, et pas seulement sur ses versions mobiles. « Sur le Web, Facebook est déjà au-delà de son point de rupture et en déclin », affirme Jeff Stibel, alors que sa croissance s’avère forte et saine sur les appareils mobiles. Pourtant, d’autres réseaux comme Pinterest, Yelp, Twitter, LinkedIn et même Instagram que Facebook a racheté, continuent de croître sur le web. Ce n’est donc pas que l’avancée des terminaux mobiles qui cause l’abandon relatif de Facebook sur le Web. Facebook peut donc échapper au déclin qui le guette pour autant qu’il cesse de vouloir croître à tout prix, du moins pour ce qui est du nombre des connexions actives et des gadgets disponibles à tout moment à chaque utilisateur.

Jean Lasar
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