En matière de labels, on a vite fait le tour au Luxembourg. Une petite dizaine de structures vivotent dans une précarité préoccupante et celles-ci ne doivent leur survie qu’à la pugnacité et la passion de leurs instigateurs de sortir des disques malgré des ventes souvent réduites à peau de chagrin. Parmi celles-ci, on compte Lili is Pi, basé à Differdange, qui héberge une poignée d’artistes comme les locaux Hal Flavin, mais aussi les deux sorties suivantes qui soulignent l’attachement du label pour les song-writers.
Only Mirrors est le premier album solo de Drew Andrews. Issu de la prolifique scène de San Diego dont émergent Pinback, The Black Heart Procession, mais aussi The Album Leaf, au sein desquels le sieur Andrews a fait parler ses talents à la six cordes, il n’est pas ce qu’on peut appeler un oiseau tombé du nid. En effet, parallèlement à cette collaboration, il est partie prenante du groupe Via Satellite. Mais l’éclosion semble avoir été longue, car hormis un seul EP, distribué en concerts en 2008, le casier solo de Drew Andrews était longtemps resté vierge. Ainsi, onze vignettes déclinent un folk délicat biberonné à bonne école, les grumeaux contentant de bonnes doses d’Elliot Smith, de Ron Sexsmith ou l’écriture d’un John Lennon entre la fin des Beatles et ses premiers albums solo, le côté cri primal en moins. Introspectif et privilégiant les ambiances douces-amères, les compositions évoluent sans faire de vagues, utilisant comme point de départ des figures à la guitare sèche et le chant mélancolique d’Andrews. Puis, avec une élégante discrétion, d’autres instruments enrichissent le contenu comme des cordes, un piano, un xylophone qui vienne accompagner l’instrumentation basique. Tout cela est amené avec beaucoup de savoir-faire et de délicatesse, à l’image du tournoyant Counterfeit ou des recoins de Hospitals again. Malheureusement, à l’heure où le folk et la pop de chambre subissent un sérieux ravalement de façade par l’entremise de formations plus aventureuses et/ou iconoclastes (Grizzly Bear, Iron [&] Wine, pour n’en citer que quelques-unes), le classicisme feutré de Drew Andrews risque fort de ne pas dépasser le cercle d’initiés et autres amateurs d’harmonies chiadées…
En provenance de Berlin, Noël n’est pas non plus à son coup d’essai. Après un premier album, Wrong places en 2005, rebelote avec ce Lost neighbourhood que Lili is Pi s’empresse de prendre sous son aile. Outre ses aspirations en solo, signalons que le bonhomme fait aussi partie du groupe Jersey, terrain de jeu electropop qui compte le batteur de The Notwist dans ses rangs. Ici, le songwriting de Noël navigue dans des eaux proches des Kings of Convenience, avec cette même nonchalance désabusée. Les arrangements sont assez spartiates, malgré l’intervention ponctuelle et parcimonieuse de cordes, d’une contrebasse, de claviers et autres vibraphones. Le jeu de batterie offre aux compositions un léger swing lorgnant vers un jazz folk. Le chant de crooner de Noël, aux accents, lui aussi, lennonien, se love dans ces ambiances, qui malgré la souplesse de la batterie, gardent un certain statisme. Beaucoup de sobriété et de retenue de la part des protagonistes chevronnés, qui cependant n’arrivent pas toujours à éviter une bienveillante et soporifique tiédeur qui déclasse le ventre mou de l’album, en sérieuse baisse de régime, à l’image de la dispensable reprise de The Jam, The bitterest pill (I ever had to swallow).
Toutefois, il reste assez de pièces de choix comme l’éponyme morceau d’ouverture, pamphlet sur la gentrification urbaine qui accapare Berlin, où ce ton désabusé fait merveille devant l’apparition de nouveaux bourgeois. L’ironique Gothenburg swingue à merveille, tandis que Last century man, ode aux trentenaires, brille par son élégance. N’oublions pas le très beau Tucson nightfall, aux accents proches de Nick Drake. Mais, on aurait aimé que Noël et ses comparses creusent plus dans la veine du fiévreux Father to the child où justement les éléments s’imbriquent parfaitement pour créer une magnifique atmosphère sépia. Autre perle, le bien nommé et touchant Silent dog waltz qui voit se dandiner un banjo sur des somptueux arrangements.
Mine de rien, et en ne suivant que son flair avec ces sorties coup de coeur, Lili is Pi est en train de se façonner une identité aussi personnelle qu’attachante, indispensable au long terme.