Culte, la formation Carissa’s Wierd, originaire de Seattle, l’est assurément ! Sa brève et intense discographie aura ouvert la voie à nombres d’émules comme Joanna Newsom ou encore les Decemberists, lézardant le folk américain de quelques cicatrices délibérément baroques, bientôt restituées par les prochaines rééditions de Sub Pop. Mais ce groupe regroupa aussi en son sein un amalgame de talents qui chacun s’en alla voler de ses propres ailes, Sera Cahoone en solo, Ben Bridwell formera Band of Horses en compagnie de Matt Brooke, avant que ce dernier ne lance Grand Archives. Quant à la chanteuse et guitariste Jean Ghetto ? Depuis l’aube des années 2000, affublant son projet de l’unique et énigmatique lettre S, elle sort régulièrement des chapelets de chansons confessions, enregistrées chez elle sur un huit-pistes, dont l’acclamé Puking and Crying de 2004. Dernièrement, elle a trouvé refuge auprès d’Own Records qui publie son quatrième recueil de chansons, intitulé I’m not as good at it as you.
Derrière ce défaitisme de façade se cachent douze morceaux aux arrangements spartiates qui reposent sur des pistes de guitares, de banjo ou encore d’ukulélé et la voix rayonnante de Jean Ghetto, seule ou s’accompagnant. À l’image d’un journal intime musical, les humeurs défilent mais pour S, Jean Ghetto ne semble avoir sélectionné que les passages les plus poignants. Sincérité dévastatrice, doutes et élégance se retrouvent dans ces comptines où la mélancolie se dévoile sans fards. Quelques coups de canif envers ses congénères aussi comme ce cinglant « It’s unfortunate that all your friends are junkies/ I will not mock or judge them/ ’Cause once or twice I’ve been there too » sur This is love.
Cette démarche convie certes aux rapprochements avec d’autres disciples d’une écriture à fleur de peau comme Jay Mascis de Dinosaur Jr (en moins électrique, mais aussi fataliste) ou encore les premières effusions de Cat Power. Vocalement, le timbre de Jean Ghetto est à che-val entre justement Chan Marshall, mais aussi Juliana Hatfield, sans cette ingénuité propre à la rouquine. La poignante gravité (très présente sur le magnifique Away round this) s’immisce dans la trame musicale sans jamais plomber les envols gracieux comme sur Save me, through it all ou encore The outro (the agony).
Si la voix de Jean Ghetto restitue parfaitement le vague à l’âme de S, ses parties de guitares en constituent le contrepoint idéal. Tantôt cajoleuses (Wait où S est accompagné de deux anciens acolytes, à savoir Matt Brooke et la violoniste Sara Standard), enjouées (Not a problem) ou âpres et emportées (Away round this, les couplets de Save you, the message), elles dévoilent une tension sous-jacente, jamais brisée par une décharge de distorsion, comme une envie de toujours se relever malgré des déboires encourus. Cette tension semble enfler à mesure que le disque avance. Par contre les chœurs, assumés aussi par Jean Ghetto, façonnés comme des couches d’harmonies quasi irréelles, installent une dimension plus onirique, qui sublime justement l’enjeu, à l’image de We are not friends.
Ce fragile équilibre fait tout le charme du disque, qui s’appuie sur ces quelques éléments, pour livrer des compositions au final assez accrocheuses, tant par leur trame mélodique que par le lien intime qu’elles dévoilent.