d’Lëtzebuerger Land : Ça fait un an que vous êtes directeur de la radio socioculturelle. Un an aussi que la radio est dans ses nouveaux studios... Avez-vous eu le temps de prendre vos marques ?
Jean-Paul Hoffmann : J’espère que non ! Sincèrement, je trouve que c’est positif de ne pas avoir l’impression d’être complètement initié... (sourit). Bien sûr, j’ai fait connaissance de l’équipe, de ceux qui la constituent, de la mécanique de l’organisation et de la technique. J’ai appris à connaître les rouages de la radio et comment elle fonctionne. Mais mon ambition est de ne pas avoir l’impression d’être dans une position commode, où je serais convaincu d’être complètement à l’aise.
Vous allez bientôt présenter un nouveau programme pour la rentrée de septembre. Lors de votre première conférence de presse, l’année dernière, vous donniez quelques pistes des rééquilibrages à faire : s’adresser davantage à la population internationale – plus de la moitié des résidents ne maîtrisent pas le luxembourgeois, une proportion qui a changé en vingt ans –, et mieux cibler un public jeune. Comment comptez-vous y arriver ?
La dimension internationale est un sujet à voir sur le long terme. En 1993, à la création de la radio, la situation était sensiblement différente, la proportion de non-Luxembourgeois dans la population résidente n’était que de vingt pour cent, mais la radio avait déjà l’ambition de traiter de l’identité culturelle du pays comme un de ses sujets prioritaires. Aujourd’hui, la proportion augmente, la moitié de la population ne parle et ne comprend pas forcément le luxembourgeois. Une radio de service public, qui veut parler de la société luxembourgeoise en toute transparence, doit se poser des questions sur son audience, si elle ne diffuse que des programmes en luxembourgeois. Nous devons nous demander si nous faisons un programme pour les Luxembourgeois ou pour le Luxembourg. Et quel serait le profil d’une radio de service public pour les non-Luxembourgeois ? À partir de là, tout devient une question de moyens financiers et de fréquences.
C’est-à-dire ?
Nous avons une seule fréquence, sur laquelle nous diffusons un programme en luxembourgeois. Imaginons qu’on veuille faire deux programmes, un en luxembourgeois et un autre dans une autre langue. Si l’on voulait les diffuser, en parallèle, il faudrait au moins une deuxième fréquence et des moyens, une équipe spécifique. Vu la situation budgétaire actuelle, je ne nous vois pas lancer ce chantier maintenant. Mais c’est un sujet essentiel, à résoudre sur le long terme.
Et les jeunes ? Qu’allez-vous faire pour toucher davantage un public jeune ?
Il est vrai que par notre profil, avec un programme qui comporte beaucoup de musique classique et d’émissions thématiques, nous nous adressons tout naturellement à une audience de 35 ans et plus. Nous sommes une radio d’offre et allons développer des programmes s’adressant davantage à un public plus jeune, par exemple par des émissions musicales plus pointues – tout en sachant que nous ne sommes pas et ne voulons pas être Eldoradio. Le public est notre commanditaire, à nous de répondre à la multiplicité de sa demande.
Selon le rapport annuel 2013 de la Radio 100,7, vous atteignez désormais, techniquement, 73 pour cent de la population résidente, pour une audience journalière, selon TNS-Ilres, de 3,5 pour cent. Est-ce suffisant à vos yeux ?
Ce n’est jamais suffisant ! Une de mes ambitions est d’augmenter cette audience. Après, on doit toujours se poser des questions sur la méthodologie des mesures d’audience, par exemple si l’enquête téléphonique telle que pratiquée pour l’étude Plurimedia de TNS-Ilres est la plus appropriée pour notre médium. Comme nous sommes une radio d’offre, il se peut tout à fait que quelqu’un réponde qu’il ne nous a pas écouté la veille si le programme ne l’intéressait pas de par son thème. Je crois que l’audience cumulée sur une semaine, qui avoisine actuellement les vingt pour cent de public, est beaucoup plus parlante dans notre cas.
Pourquoi ce besoin de tels chiffres d’audience, qui servent surtout les médias qui s’adressent à des annonceurs, pour justifier leurs tarifs et les encourager à investir dans une publicité. La Radio 100,7 pourtant n’a pas de publicités...
Certes. Mais il est toujours important de pouvoir se positionner sur le benchmarking par rapport à la concurrence. Et puis, comme nous sommes financés par les deniers publics, les chiffres d’audience sont un indicateur que nous offrons une valeur ajoutée pour la société avec l’argent qui nous est accordé.
Vous êtes vous-même journaliste de formation, d’ailleurs, au moment du lancement de la radio, vous étiez journaliste au Lëtzebuerger Land... On a l’impression que la rédaction, les informations sont votre point fort en ce moment, ce que vous soignez le plus. Quel est, à vos yeux, l’équilibre idéal entre informations et programme culturel ?
Bien sûr que j’essaie de soutenir notre rédaction d’actualités dans ses efforts de se développer. Les actualités sont une partie importante de l’offre, mais pas la seule. Toutefois, parce qu’elle produit une vingtaine d’émissions d’information par jour et ce tous les jours de la semaine, la rédaction d’actualités demande un investissement personnel assez intense. D’ailleurs notre cahier de mission dit que nous devons produire une information « libre et pluraliste ». Les informations sont un produit d’appel important, pour le dire avec les termes du marketing : beaucoup d’auditeurs viennent pour les informations. C’est sur cette partie du programme que se joue aussi une partie de notre crédibilité.
Votre rédaction est assez jeune, avec un sens développé pour le « scoop » et les « affaires » – ce qui lui a d’ailleurs valu un « prix du jury » pour sa couverture de l’affaire du Srel lors de la première remise des prix du journalisme de l’ALJ, en mars dernier. Ne serait-ce pas plutôt le profil d’une rédaction commerciale ? Comment vous définissez-vous par rapport à RTL Radio Lëtzebuerg, votre principale concurrente, notamment sur la niche des informations ?
Les informations sont une partie importante de notre programme. Au même titre que la musique et les émissions culturelles. Mais ces deux autres éléments intéressent peut-être moins les autres radios. Ceci dit, je me positionne seulement par rapport à notre cahier des charges, qui définit la mission de notre radio.
Au début de l’année disparaissait radio DNR, la radio du groupe Saint-Paul, augmentant à nouveau la part de marché de RTL. Ce qui fait dire à Robert Garcia, ancien de UKaweechelchen et de Radio Ara, dans le dernier numéro de Ons Stad (n°106) consacré aux médias audiovisuels, que la libéralisation des médias électroniques de 1991 s’est soldée par un échec. Lui donneriez-vous raison ?
Le paysage audiovisuel n’est aujourd’hui certainement pas ce à quoi on s’attendait au début des années 1990. Ma lecture en est qu’il y a toujours un grand groupe commercial qui domine le paysage, avec RTL et Eldoradio, puis la radio socioculturelle qui en est un des acteurs établis, et son existence n’est plus contestée, sinon le gouvernement n’aurait pas consenti à cet investissement considérable dans un nouveau siège [3,64 millions d’euros, ndlr.] Et il y a encore Radio Ara, qui œuvre dans une sorte de niche. Donc ce n’est vraiment plus du tout le paysage pluriel qu’on voulait créer il y a vingt ans.
Toutefois, ce n’est plus un sujet de discussion. Même à la disparition de DNR, il n’y eut guère de débat public autour de la diversité du paysage radiophonique – contrairement à il y a vingt ou encore seulement dix ans...
... peut-être aussi parce que le médium radio a foncièrement changé. À l’époque, la radio était un « média chaud », rapide à rendre compte de l’actualité, flexible et participatif. Et qui faisait miroiter des perspectives commerciales, il ne faut pas l’oublier. Aujourd’hui, les perspectives commerciales se sont dissipées, les investisseurs privés ont appris la leçon. En termes de média participatif, il y a aujourd’hui internet et les réseaux sociaux, la situation est complètement différente, et cela a des répercussions sur la partie économique des médias. Une des questions essentielles qui se posent est celle de l’évolution de la technologie de transmission. Aujourd’hui, un programme de radio est une chose polymorphe qui peut sortir d’un poste de radio, mais aussi d’un ordinateur ou d’un téléphone portable. On devra aussi voir comment le contenu s’adapte à l’évolution technologique.
Les nouveaux médias justement : la Radio 100,7 a un site internet un peu rigide, préhistorique, sur lequel il est difficile de se retrouver et de retrouver une émission. Il y a certes une rubrique « Aktuell » désormais, mais il faut chercher longtemps (par date) pour retrouver une rubrique. À quand un lifting ?
Nous avons fait des progrès dans sa valorisation, avec l’introduction de ce fil d’actualité, effectivement. Mais le site internet demeure un de nos grands chantiers. Qui, encore une fois, est une question de moyens budgétaires disponibles pour l’attaquer. Nous sommes en train de négocier une convention budgétaire pluriannuelle avec notre ministère de tutelle, celui des Communications, qui nous permettrait d’avoir une certaine sécurité afin de pouvoir planifier la gestion sur plusieurs années.
Vous avez fait une entrée remarquée à la radio en interdisant d’abord d’antenne tous ceux qui, de près ou de loin, avaient à voir avec la campagne électorale pour les législatives – ce qui se faisait déjà plus ou moins sous votre prédécesseur Fernand Weides –, puis en interdisant à Jay Schiltz, alors rédacteur en chef, de jouer son nouveau programme de cabaret, et finalement la responsabilité de rédacteur en chef, parce que son épouse, Francine Closener (LSAP), fait partie du gouvernement... Autant de rigueur déontologique, autant d’attente d’objectivité, sont-elles réalisables dans un microcosme comme le Luxembourg ?
Ce sont les choses les plus normales du monde. Partout ailleurs, on attend des journalistes ce minimum déontologique, j’ai parfois l’impression qu’au Luxembourg, on relativise tout ça. Or, notre crédibilité est notre capital le plus précieux, nous vivons du fait que nos auditeurs nous font confiance. Au moindre doute que telle ou telle connexion familiale ou autre d’un journaliste ait pu influencer nos informations, nous perdons tout crédit.
Vous disiez tout à l’heure que le médium radio avait foncièrement changé depuis l’avènement d’internet. Cela est particulièrement vrai pour tout ce qui touche à la musique, me semble-t-il : avec les services de streaming, avec Youtube ou Spotify, tous les disques sont immédiatement disponibles à l’écoute partout dans le monde, et souvent même gratuitement. Or, alors que les radios commerciales programment les musiques pop selon des ratios calculés par ordinateur, vous avez un vrai rôle de découvreur et de médiateur à jouer sur ce plan-là... Pourquoi ne le soignez-vous pas davantage ? La musique pourrait être le grand atout de la Radio 100,7.
C’est vrai que la musique est primordiale. Dans le domaine du classique, parce que nous sommes partenaires de la Philharmonie et rediffusons une quinzaine de leurs concerts par an. Et parce que nous sommes la seule radio au Luxembourg à diffuser de la musique classique de manière conséquente. Mais nous avons aussi une mission dans le domaine du jazz, une scène très dynamique, que nous accompagnons. Ensuite, nous sommes en train de valoriser nos programmations de musiques contemporaines et de musiques pop-rock-electro, aussi bien dans les émissions thématiques que dans les tranches d’animation classiques.
Vous voulez développer la radio, mais l’argent en est le nerf de la guerre... En 2013, vous aviez l’équivalent de 35 postes à temps plein, une quarantaine de free-lances, et 4,8 millions d’euros de dotation budgétaire pour votre établissement public. Cette année, vous avez 155 000 euros de plus, soit 4,95 millions. Pas vraiment ce que vous imaginiez ? Quelle serait la dotation idéale ? Sachant que vous ne pouvez recourir au financement par la publicité...
Il nous faudrait quinze à vingt pour cent de budget en plus pour nous développer. Car les 4,95 millions d’euros de dotation de cette année sont en réalité, compte tenu des frais fixes, par exemple des frais réels du nouveau bâtiment, qui sont plus élevés qu’avant, et des suites de l’indexation, une baisse réelle du budget par rapport à 2013. Nous coûtons actuellement 21 euros par an et par ménage à la société – ou l’équivalent de 75 centimes par habitant et par mois. La moyenne des pays de UE est de 3,28 euros. De ce côté-là, nous nous situons au niveau de la Macédoine, de la Lettonie et de la Bulgarie. Il y a là peut-être un débat à mener en ce qui concerne notre avenir.