d’Lëtzebuerger Land : Vous êtes cinéaste avec un penchant pour le film documentaire historique1 respectivement juriste de formation, travaillant dans le théâtre depuis des années2. Mais de là à écrire un scénario pour un soap opera ou une sitcom, il semble y avoir un grand pas à sauter, d’autant plus que vous êtes tous les deux toujours politiquement engagés dans ce que vous faites, à mille lieues du simple divertissement... Quelle fut votre motivation pour participer ?
Claude Lahr : L’idée de répondre à l’appel du Film Fund nous est venue assez spontanément. Nous discutions avec Marc des recherches pour mon prochain documentaire, sur les enjeux de l’immigration au Luxembourg, et nous nous sommes demandés s’il était possible de traiter des sujets « typiquement luxembourgeois » sous cette forme. Situer une sitcom dans le contexte local nous a intéressés ; c’est la première fois qu’une telle série se crée, donc c’est forcément un défi de savoir ce qu’on peut y raconter et y véhiculer, à quel point on peut par exemple être critique envers la société. Et puis, cela fait un moment que, n’ayant réalisé que des documentaires jusqu’à présent, j’avais envie de m’essayer à la fiction, de travailler avec des acteurs.
Marc Limpach : Le point de départ était mon amitié avec Désirée Nosbusch, que je connais pour avoir joué avec elle et Thierry van Werveke dans la Mégère apprivoisée à Recklinghausen. Elle m’a appelé un jour pour me dire qu’elle avait envie de démarrer sa société de production et me demander si je pouvais écrire quelque chose pour ce concours, et comme j’ai déjà travaillé avec Claude Lahr sur d’autres projets, nous nous sommes dits que cela valait la peine d’essayer ensemble. Mais personne ne croyait que nous allions gagner. Maintenant, notre but est de faire participer un maximum de monde, aussi bien pour ce qui est de l’écriture des épisodes que pour la réalisation ou l’interprétation...
Et l’approche « locale » ? Il y a tellement de séries calquées sur le modèle Hollywood, mais ce qui marche le mieux auprès des spectateurs, on le voit dans nos pays voisins, ce sont les histoires dans lesquelles ils se reconnaissent, avec des personnages auxquels ils peuvent s’identifier et des lieux ou des événements qu’ils vivent aux quotidien...
Marc Limpach : Ce ne sera pas 2 ½ men in Belair, cela ne ferait pas de sens ! Le succès d’une sitcom est toujours basé sur les acteurs et sur les dialogues, et pour bien les écrire, il faut avoir une connaissance profonde de la société luxembourgeoise...
Claude Lahr : ...d’ailleurs, je suis persuadé que Weemseesdet ne pourrait pas être traduit dans une autre langue et exporté tel quel, parce que ce sera très spécifique au Luxembourg.
Marc Limpach : Pour nous, il est important que les Luxembourgeois s’y reconnaissent. Pour ça, nous nous inspirons un peu partout, par exemple de notre propre vécu, de choses que nous avons vues ou entendues. Puis nous faisons beaucoup de recherches de détails sur les modes de vie, voire la langue des différents personnages, membres de la famille, amis ou voisins, souvent sur les blogs sur Internet – on apprend des choses incroyables, très privées, dans ces blogs ! Et je me promène toujours avec un petit bloc-notes dans lequel je marque même des expressions que j’entends dans la rue, comme là, ces jeunes, avant de venir à notre rendez-vous. D’ailleurs tous les gens que nous avons consultés et auxquels nous avons fait lire les premiers scénarios se sont esclaffés et nous ont dit : « J’ai exactement le même voisins ! »
Qui sont les « Wampach », ce couple bourgeois, lui prof, elle psychologue et artiste débutante, mariés, deux enfants, qui sont au centre de Weemseesdet ? En quoi peuvent-ils être représentatifs de notre société ?
Marc Limpach : Nous voulions éviter le rire gras, de nous moquer des pauvres ou de gens incultes, c’eût été trop facile et malsain. Les Wampach sont justement très « Luxembourgeois moyen », ils représentent les citoyens-types de ce pays, avec tout ce que cela comporte d’images d’Épinal. Nous voulons décrire leurs petits travers, sans pour autant jamais les dénoncer.
Claude Lahr : La famille que nous avons imaginée nous permet de thématiser cet éternel conflit des générations, sauf que les jeunes hippies des générations des années 1960-1970, qui se rebellaient contre leurs parents trop ringards sont aujourd’hui les parents d’enfants ringards, qui se rebellent contre leurs parents baba-cools.
Chaque épisode, décliné en plusieurs actes, est basé sur deux ou trois thèmes qui s’entrecroisent : le fils qui passe son permis, la Toussaint, la fête nationale, les expériences amoureuses des enfants, la première exposition de la mère (qui fait de la peinture à ses heures perdues)... Mais, bien que nous riions, il y a aussi des sujets plus sérieux comme la maladie et la mort de la grand-mère ou la décision sur les futures études des enfants. Et puis il y a les thèmes récurrents, comme le consumérisme, et d’autres qui sont amenés par les figures venues de l’extérieur, comme un certain racisme par exemple... Néanmoins, nous veillons toujours à ce que les personnages restent sympathiques.
Quel est le rôle de RTL Tele Lëtzebuerg ? Est-ce qu’il y a des prescriptions de leur part ? Eux n’ont pas d’expérience dans ce domaine non plus...
Claude Lahr : Jusqu’à présent, ils nous laissent complètement carte blanche, nous n’avons pas du tout d’instructions ou d’interdictions. J’ai l’impression qu’ils nous font confiance, conscients que les délais sont très brefs. Nous allons devoir produire deux épisodes par semaine cet été, c’est plus que la norme à l’étranger !
Comment vous y prenez-vous concrètement, sachant qu’entre la décision du jury sur une ébauche d’une histoire et le début de la diffusion de la série, sept mois seulement se seront écoulés ?
Marc Limpach : Les délais extrêmement courts sont une des raisons pour lesquelles nous travaillons avec une méthode inclusive et que nous faisons participer un maximum de gens. Pour les scénarios par exemple, nous avions douze thèmes au départ, que nous avons élargi à 24 pour le nombre total d’épisodes. Claude et moi en écrivons dix, et nous sommes très contents d’avoir Guy Helminger à bord, qui en écrit cinq, toujours sur le même schéma. Les neuf autres épisodes étaient « à disposition » d’autres auteurs, notamment des jeunes, qui pouvaient choisir leurs sujets favoris : Thierry Faber, Frédéric Zeimet, Rafael Kohn, Claude Grosch, Yann Tonnar et Eugénie Anselin sont de la partie. À nous deux, Claude et moi, d’encadrer ce processus, de vérifier si cela colle avec les autres épisodes et éventuellement d’ajuster.
Claude Lahr : Nous avons appliqué la même méthode de travail inclusive à d’autres domaines : Serge Tonnar écrit la musique, Claude Grosch crée le générique... Et bien sûr aussi pour la réalisation : je vais réaliser moi-même les premiers épisodes jusqu’à ce que la machine soit bien huilée, que toute l’équipe ait trouvé ses repères. Mais nous sommes déjà en train de demander à d’autres réalisateurs s’ils veulent participer – toujours dans la même idée de partager avec un maximum de gens cette première expérience dans ce domaine.
Ceci dit, les délais sont effectivement très, très serrés, à tel point que nous n’étions pas certains d’arriver à terminer les scénarios à temps. Le fait que Marc et moi nous connaissions et nous entendions bien, sans beaucoup d’explications préalables, a beaucoup aidé je crois. Et puis là, ça va, nous en voyons le bout. Une fois tous les scripts achevés, les prochaines décisions nous attendent, notamment en ce qui concerne le décor – ce sera un salon et une cuisine, comme une sitcom classique – et, surtout, la technique d’enregistrement. Nous tournons en multicam, avec plusieurs caméras qui filment sans cesse, ce qui permet aux acteurs de jouer des passages entiers comme au théâtre, sans interruption.