Peut-être n’est-ce pas le sujet le plus approprié à partager avec un RMGiste ou encore avec un demandeur d’asile. Mais si d’aucuns ne nous l’ont pas fait sentir, les discussions ont vite évolué vers d’autres problématiques. Car les loisirs ne font pas partie des principales préoccupations de ceux qui n’ont pas les moyens financiers et de ceux dont la situation le leur interdit. Cela ne les empêche pas de rêver.
La situation est loin d’être la même pour tout le monde. À chacun son cas, son passé, son entourage, ses soucis et ses besoins. Car, on l’a rapidement compris, l’on ne peut parler de loisirs si l’on n’a pas résolu son quotidien. D’où la question : les loisirs font-ils partie des normalités de la vie ou bien s’agit-il d’un luxe ?
Sans vouloir répondre, nous voulons souligner que la notion même de loisirs prend, en discutant avec ceux qui se trouvent dans une situation d’exclusion sociale et économique, un autre sens. Le terme est élargi vers d’autres horizons, notamment ceux des réseaux de solidarité et d’entraide. Souvent, loisir équivaut à « passe-temps », puisqu’on n’a pas d’argent et trop de soucis pour aller au cinéma ou dans un musée. Parfois, aussi, on a peur des regards, ce qui fait qu’on évite la « bonne société ». Mais ce qui complique ce discours sur les loisirs, c’est que souvent on en a trop, du temps.
Ceci concerne surtout les demandeurs d’asile qui passent leur temps littéralement à le compter. Tourmentés par l’attente, ils n’ont souvent pas le moral pour aller fréquenter la société. Paradoxalement, le Kulturpass leur permet justement ceci : accéder aux musées. Mais souvent les activités plus légères et individualistes, comme le cinéma, n’en font pas partie. Ce n’est pas que le Kulturpass ne soit pas le bienvenu. Lancé en janvier 2010, « ce passeport culturel donne accès gratuitement aux musées partenaires du projet, respectivement aux spectacles et manifestations des opérateurs culturels partenaires au prix de 1,50 euros » selon le site de l’association Cultur’all, qui a instigué ces Kulturpass. Toute personne résidant au Luxembourg qui répond aux critères d’attribution de l’allocation de vie chère peut en bénéficier.
Si le bilan de la première année d’existence sera officiellement présenté en début d’été, il semble pourtant qu’il soit mitigé. « Au début, beaucoup de gens demandaient le Kulturpass, mais l’élan s’est quelque peu essoufflé, » avance Christiane Giovannoni, membre d’ATD Quart monde et du conseil d’administration de Cultur’All. Il y a aussi « ceux qui résistent, qui sont trop fiers pour accepter l’offre, » selon Nicole, qui vit du RMG. Ces gens, souvent, « en ont marre de l’assistanat ». Il ne suffirait pas de donner l’accès à la culture aux plus démunis : « Il faut tout un travail de sensibilisation, d’information », car « c’est une dynamique qui doit se mettre en place. Les gens doivent prendre l’habitude » avance Christiane Giovannoni. Et d’ajouter que le « ministère doit aussi soutenir. On a besoin d’une véritable médiation culturelle ».
« Il faudrait que les responsables culturels locaux aient le souci d’expliquer l’offre et de proposer et d’organiser, par exemple, des sorties en groupe ». Il faudrait un encadrement à la culture, au moins « pour lancer la dynamique ». Connaissant les besoins de cette population, ATD Quart monde organise non seulement des sorties culturelles, le réseau d’ATD Quart monde permet également à des familles démunies de moyens financiers de passer une semaine dans une maison à la campagne, « mais la liste d’attente est longue » déplore Véronique Hammes, qui travaille également chez ATD Quart monde.
Si les uns ont l’embarras du choix, les autres essaient de regarder de l’autre côté, de « garder la tête haute et de faire du mieux » comme l’avance Nicole. Avec un enfant malade à gérer, les soucis financiers, elle n’a pas de temps de songer à des loisirs, d’autant plus que « je n’ai jamais connu les loisirs et les excursions ». Ses week-ends, elle les passe à la maison, trop crevée pour faire autre chose. Ayant grandi sans connaître les vacances, elle ne les connaît pas davantage aujourd’hui. La pauvreté est un héritage, dit-on. Et Véronique de regretter que « tous les rêves tombent dans l’eau si on n’a pas l’argent. Chez nous, il n’y a pas de temps libre. Pas de loisirs. Je dois économiser. Je dois assurer. Il faut qu’il y ait à manger ».
Quand on est dans la misère, l’espace autour de soi a tendance à se restreindre. Sans voiture, on se sent « enfermé dans la misère ». Sans ouverture, on « tourne entre la maison, l’école des enfants et les services sociaux ». De même pour de nombreux demandeurs d’asile, qui se retrouvent dans des foyers en dehors de la capitale, souvent mal connectés au réseau du transport public.
Les loisirs prennent dès lors une importance non négligeable afin de pouvoir respirer. Ainsi, Madame B., à défaut de réaliser son rêve et d’avoir un chien elle-même, promène ceux des autres. Cela lui permet de « sortir, de s’aérer la tête ». Sans penser au golfe, au tennis ou au vélo, la majorité des loisirs au Luxembourg sont hors de portée pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers. Ainsi, Nicole témoigne de sa passion : « Je voudrais prendre des cours de djembé, mais je n’en ai trouvé aucun qui ne soit pas trop cher. » Et Véronique Hammes d’ajouter qu’« elle est douée mais les cours pour avancés sont trop chers ».
Entre le manque d’argent, les regards des autres, le ressentiment de honte, beaucoup finissent par rester à la maison. Ce sont alors les associations qui prennent le relais. Chez Femmes en détresse, on peut apprendre à jouer au djembé, à ATD Quart monde, on peut prendre des cours de couture.
Loisir et RMG ne vont pas bien ensemble : « Avec le RMG, on ne peut pas économiser de l’argent. On ne peut jamais faire des projections dans l’avenir, donc jamais non plus de vacances » selon le témoignage de Nicole. Et d’ajouter une anecdote : « On avait la chance que quelqu’un dans la famille nous a fait cadeau d’une roulotte. Hélas, il fallait encore payer une place pour la garer». Heureusement que la famille a trouvé un bienfaiteur, « mais on a toujours des dettes envers des gens ».
Ce que les demandeurs d’asile partagent avec les RMGistes, c’est qu’ils ne profitent pas des libertés, des droits et des choix. Tous sont gardés dans une dépendance vis-à-vis d’un État paternaliste.
Mais les besoins des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Les demandeurs d’asile, eux, survivent socialement et culturellement grâce aux liens qu’ils ont tissés entre eux, souvent entre membres d’un même pays d’origine. Ce sont les entraides et la religion qui permettent de garder le courage et la dignité dans un environnement étranger. Mais, parler de loisir avec un demandeur d’asile est un faux débat. Eux, ils veulent travailler. Faute d’en avoir le droit, c’est à Auchan et à la télé qu’ils projettent leurs rêves.
Un réfugié irakien témoigne que la seule chose qu’il voudrait faire, c’est d’aller nager : « Mais les activités sportives coûtent très cher au Luxembourg ». Trois à six euros pour l’accès dans une piscine est hors de prix pour un demandeur d’asile. Pourtant, pour décompresser, ce seraient peut-être justement des séances de natation ou des réductions en salle de sport qui seraient les mieux adaptés.
Mais « ce n’est pas toujours une question d’argent, mais également une question d’ouverture d’esprit, » avance Paca Rimbau, responsable au Clae, qui rapporte des cas de réticences vis-à-vis des demandeurs d’asile qui voulaient s’inscrire dans des associations et clubs sportifs. En matière de passe-temps, les foyers de réfugiés ne seraient pas non plus adaptés aux besoins des réfugiés et de leurs enfants. Au foyer de Weilerbach par exemple, les enfants ont une école à part, mais pas d’espace de loisirs. À part des ateliers d’été, des cours couture créative que le Clae organise, il n’y aurait pas trop d’opportunités pour les adultes, les jeunes et les enfants de satisfaire leurs besoins de créativité, d’animation.
Si à première vue, les loisirs des plus démunis semble un sujet qui n’a pas trop de sens, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont des besoins très spécifiques. Pour eux, les loisirs permettent d’oublier et de projeter des rêveries, donc de survivre.