Les cheveux hirsutes. Ça gène, les cheveux en pétard ? Et la barbe de trois, euh, non, de quatre jours, ça gène la barbe de plusieurs jours ? Et le T-shirt délavé, et le jean, et les baskets... ? « En fait, c’est ce qui me faisait le plus peur avant de m’établir à mon compte : la crainte de devoir me présenter en gommeux pour aller chercher des clients... » Aujourd’hui, un an après s’être lancé en créant sa propre société à responsabilités limitées Designbureau, en collaboration avec son ami et associé, le développeur informatique Victor Dick, le graphiste Laurent Daubach est rassuré qu’il ait pu rester lui-même, tel quel, en passant patron, et que les commandes pourtant ne manquent pas. Il est vrai qu’elles émanent surtout du milieu culturel, lieux d’exposition et de spectacles, et d’architectes, moins regardant sur la présentation extérieure des intervenants.
Le coup de maître, celui avec lequel Designbureau a fait son entrée par la grande porte sur le marché du design graphique, c’est le nouveau site Internet du Mudam. La mission principale assignée par le nouveau directeur du musée était claire : il fallait faire de l’anti-Closky. Après ce premier site Internet quasi subversif version Beaud, créé par un artiste sur base de réflexions philosophiques sur Internet et son utilisation, le Mudam version Lunghi voulait un site clair, bien structuré, user-friendly, dans lequel le visiteur retrouve dès son entrée toutes les informations en un clic, des archives aux fiches sur les artistes, de l’agenda aux banques d’images. Laurent Daubach a veillé à ce que le site allie esthétique et organisation limpide, Victor Dick en a assuré la réalisation technique – les deux hommes, qui se sont rencontrés chez Bizart, leur précédent employeur, se complètent idéalement.
« Je crois qu’avec l’âge, il est de plus en plus difficile d’avoir un patron, » estime Laurent Daubach, qui a passé une douzaine d’années dans l’agence arty de Raoul Thill, dont il a fortement contribué à forger l’identité. « C’est vrai que j’ai toujours été un employé très fier, » dit-il. Mais voilà, à quarante ans, son désir d’indépendance prévalait, la rencontre avec Victor Dick rendait la perspective réaliste, et ses projets privés de déménager à Bruxelles un jour ou l’autre ont accéléré la décision. Aujourd’hui, Designbureau est installé dans la cave voûtée du lieu super-branché Konrad, rue du Nord à Luxembourg, là où jadis, on essayait les jeans dernier cri.
Peut-être que le succès de Designbureau s’explique par cette proximité de la branchitude et du monde de l’art. Car Laurent Daubach, au-delà d’être un graphiste commercial, qui travaille sur commande, est aussi un artiste lui-même sous son propre nom – sa participation à Infographythm au Carré Rotondes, un vélo rouge, était la plus radicale – ou en tant qu’une moitié de Ownyourown, un binôme qu’il forme avec Charles Wennig et qui travaille surtout sur le sens et le graphisme des mots. On a pu les voir avec des t-shirts à messages absurdes – « côtelette », « câble » – et leurs lettres surdimensionnées formant « Moien » ou « Merci » ont même très officiellement accueilli les hôtes internationaux durant la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne en 2005. Les quelques concerts de la très rare formation de musique électronique Pouvoir d’achat dont les deux hommes étaient membres, au milieu des années zéro, restent mythiques.
Formé à l’École de recherche graphique Saint Luc à Bruxelles, après s’être vite rendu compte que l’ingénierie à Aix-la-Chapelle n’était pas pour lui, Laurent Daubach reste comme une éponge, perméable à toutes les influences possibles et imaginables des arts visuels, de la musique pop-rock surtout, toujours à la recherche des dernières avancées technolo-giques et des tendances esthétiques sur le web. « Mais je me bats contre le cloisonnement, je ne veux en aucun cas me définir par un style propre. Pourtant, j’admire plein de graphistes internationaux qui se définissent par une ‘patte’. Mais c’est éphémère, on en a vite fait le tour et ils se font jeter après avoir été utilisés. Non, mon style à moi, c’est de ne pas en avoir, » affirme-t-il. Au vu de sa création, éclectique il est vrai, on peut toutefois déceler quelques constantes : une réduction des éléments visuels, mais en évitant de devenir trop minimaliste, et toujours un petit côté ludique, comme un clin d’œil. « Il est vrai, dit-il, je veux toujours éviter que ce soit trop rigide. Lorsque je regarde mon écran et que c’est trop sage, je dois encore ajouter une petite touche décalée. »