Collectif à géométrie variable (certains de leurs concerts voient jusqu’à une vingtaine de participants sur scène), Traumkapitän est surtout le projet de Christian Clement (piano et chant), instigateur et compositeur du collectif. Après s’être initié au piano, il compose une série de morceaux qui seront les premières esquisses de ce que deviendra Traumkapitän. Très vite, il se rend compte qu’il lui faut d’autres musiciens qui sauront donner une dimension panoramique à ses compositions et assouvir ses ambitions pétries d’influences telles que Carla Bley, Kurt Weill mais aussi les Beatles ou encore Serge Gainsbourg.
Parmi ces musiciens, on compte Chris Belardi à la batterie et son jeune frère, le très talentueux Paul aux vibraphone, claviers et chœurs ; Luc Caregari, basse et guitares ; l’ami de longue date Christian Neyens, électronique et orgues ; le très intense David Fettmann, sax alto ; Olivier Lefèvre, violoncelle ; Roxane Birch, violon et contrebasse ; Jacques Reuter, trombone ; Rob Köller, souzaphone ; Alban Birch, viole et saxophone baryton et soprano saxes ; Carlo Krausch, percussions. Leurs talents conjugués à des arrangements inventifs boostent littéralement les morceaux de Clement, qui a parfois tendance à recourir aux mêmes ficelles de compositions (certaines progressions et certains thèmes de pianos récurrents). Virtue comical est leur première sortie discographique et le résultat est pour le moins enthousiasmant. Enthousiasme dû en partie par cette approche peu orthodoxe en Terra Luxembourgensia, et pour le niveau atteint par certains morceaux. Soulignons que l’album a été enregistré et mixé par Rocco Russo (ex-Low Density Corporation), qui, pour sa première production, réussit à donner une chaleur toute en rondeurs des plus bienvenues à l’ensemble.
Après une crispante introduction où une cantatrice au timbre suraigu s’époumone, on entre dans le vif du sujet par des percussions qui jouent à contre-courant de la section rythmique sur des accords de pianos obsédants tandis qu’un solo de sax nous emporte vers la voix de Clement qui adopte un ton aux frontières de la narration comme s’il voulait nous prévenir de ce qui nous attend. Doté d’une des voix les plus riches et expressives du territoire, il passe avec une facilité et une conviction confondantes d’un registre à l’autre, pouvant allier la fragilité à fleur de peau d’un Thom Yorke à la démesure suave et théâtrale d’un Freddie Mercury d’avant les boursouflées 80’s. Ce faisant, il nous emporte dans un voyage intérieur au sein des tourments d’une âme torturée ; impression magnifiée par certains effets sur la voix. Tout au long de l’album, qui compte tout de même seize morceaux, on baigne dans une atmosphère très proche de Kurt Weill, de fin de siècle, comme si le collectif jouait dans une insouciance feinte dans un cabaret mental alors qu’une réelle menace gronde à l’extérieur ; tout en alliant un esprit d’aventure très seventies et progressif.
Parmi les sommets de cet album fleuve, on peut citer le très flippant Godson où le sax inspiré de Fettmann tient tête à Clement avant de se lancer dans une progression rappelant l’ombrageux final du She’s so heavy des Beatles (une autre de ces obsessions) ; Mr Self dynamical qui commence comme une légère ritournelle piano-chant-vibraphone avant de se terminer sur une note plus fataliste ; le très court et accrocheur House of glass, bijou de cacophonie maîtrisée ; A poison tree céleste conviant Robert Wyatt avec, à nouveau, une intervention judicieuse de Fettmann ; …Arrive in a tiger cage, oppressant et moite qui sonne comme une rencontre entre Tom Waits et Deus première période ; le lumineux et lunaire refrain de Back in forth ; Broken crockery où l’on pointe un vocodeur ; le très introspectif et poignant Truth qui clôt l’album.
Impressionnant de bout en bout, malgré quelques (rares) baisses de régime, ce Virtue comical laisse éclater au grand jour dans ce Traumkapitän atypique, un talent solaire, que l’on devinait déjà. À eux de maintenir ce cap périlleux !