Pour la troisième fois consécutive, Own Records s’occupe de la distribution européenne du nouvel album de la formation américaine Gregor Samsa, devenue par la force des choses la locomotive du label. Rest est cette nouvelle preuve de fidélité indéfectible entre les deux parties. Depuis le précédent opus intitulé 55:12, le groupe s’est disloqué entre cinq villes de l’est des États-Unis, devant revoir, par la même occasion, leur approche de la composition. Les neuf pièces réunies sur Rest sont le fruit d’un long échange de neuf mois par courrier électronique interposé entre les membres du groupe. Pour l’enregistrement, le groupe s’est étoffé de nombreux participants (on en dénombre une douzaine) qui donne à cet album une richesse aérienne et discrète qui se dévoile au fil des écoutes.
En effet, si la formation reste encore reconnaissable de par le jeu de voix des timbres respectifs de Champ Bennett (murmurant et soupirant) et de Nikki King (diaphane, sucrée et envoûtante) ou par cette volonté de s’échapper d’une pesanteur sonique, la palette de moyens semble avoir tourné le dos aux méthodes fougueuses assimilés aux crescendo soniques. Au lieu de ça, Gregor Samsa privilégie une instrumentation classique ouvrant grande sa porte aux cordes, aux cuivres, aux claviers et à un élégant vibraphone. Cela est fait avec beaucoup de retenue, jamais au grand jamais, ils ne flirtent, ne fut-ce qu’une seconde, avec un côté pompier tarte à la crème, apanage de nombreuses formations qui cherchent à enrichir leur musique par une approche dite orchestrale. Ici, l’option musique de chambre prend le pas et rapproche Gregor Samsa de formations comme Rachel’s, Low, Múm ou encore Sigur Rós.
Dès les premières mesures de The adolescent, les atmosphères élégiaques et crépusculaires s’insinuent avec raffinement dans le spectre sonore de cet album qui annonce sa couleur mélancolique. À quelques exceptions, les morceaux ne passent jamais sous la barre des cinq minutes et prennent le temps de vous envoûter avec des motifs répétitifs ou lancinants qui gagnent en densité sans jamais dévier vers une catharsis libératrice. La texture sonore ne cesse d’enfler et de gagner en densité sans jamais atteindre le point de rupture ou d’explosion.
Grandes absentes, les guitares, autrefois moteurs des envolées épiques et ombrageuses, ont presque entièrement disparu de cette palette (seul le final menaçant de First mile, last mile leur fait reprendre leurs droits déchus) et sont remplacées par un piano omniprésent, à l’image d’Abutting, dismantling. L’anecdote veut que cet instrument ait appartenu à Philip Glass, maître compositeur du minimalisme, dont l’ombre plane sur cet album tout comme celle d’Eric Satie sur la première partie de Jeroen van aken, languissante pièce qui monte inexorablement avant de se liquéfier progressivement et de muter vers une rencontre spectrale, forcément fantasmée, entre Low et Pink Floyd.
Délicat sans être précieux, austère sans être renfermé, ce Rest de Gregor Samsa est un voyage vers l’épure où cette retenue permanente parvient, paradoxalement, à créer autant de nuages imbibés d’une sensibilité à fleur de peau qui embuent vos neurones d’une digne beauté singulière.
Pour plus d’informations : www.ownrecords.lu, www.gregorsamsa.com, www.myspace.com/gregorsamsamyspace